Diapason est un « think tank » qui veut poser des questions, nourrir le débat, valoriser les initiatives et favoriser l’innovation socio-économique et politique pour le développement de Madagascar.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du think tank.

 Nos valeurs

Bonne lecture !

 

Suite à la Conférence « Quid de l’Éducation à Madagascar ? » organisée par DIAPASON du 27 Juin 2024 à l’Espace Bernanos[1], j’ai émis quelques réactions à la demande d’un des organisateurs.

Je suis un médecin malgache à la retraite, et j’ai déjà occupé le poste de Secrétaire Général du Ministère de la Santé à Madagascar pendant quelques mois, ainsi que divers postes à responsabilité au sein de ce même ministère durant vingt-cinq ans environ. Aussi, ai-je travaillé dans différents projets financés par les Partenaires Techniques et financiers (PTF) – USAID, GTZ, Coopérations française, japonaise et suisse… travaillant dans le pays en tant que chargé de programme ou consultant. Pendant quelques années, j’ai occupé par ailleurs des postes en tant que fonctionnaire dans les organisations du Système des Nations Unies à Madagascar, comme l’UNICEF, l’OMS et l’UNFPA. Mais, des expériences en tant que consultant dans des projets de développement m’ont aidé à avoir une vue plus globale du développement à Madagascar ainsi que des facteurs déterminants de la pauvreté de la grande Ile. Et notamment, j’ai fait partie d’une équipe pluridisciplinaire au sein de la Primature pour l’élaboration d’un programme de 2 ans de transition du gouvernement de Madagascar entre 2014 et 2016, financée par le PNUD. Je coordonnais alors une équipe chargée du volet social, santé, éducation, formation technique professionnelle et emploi. Le document a été bel et bien élaboré avec la participation des ministères publics et des régions, mais n’a été malheureusement pas mis en œuvre. Ma contribution à l’enseignement supérieur à la Faculté de médecine de Madagascar, en tant que spécialiste en santé publique a étoffé enfin mes expériences en éducation.

Mes réactions font suite à la lecture du Verbatim. Mes réflexions, mes expériences et les échanges sans fin avec mes compatriotes et mes collègues de travail ainsi que ma vision des choses sur la situation qui prévaut à Madagascar, en tant que citoyen d’abord et en tant que technicien travaillant à Madagascar pendant plus de 40 ans ensuite m’amènent à m’introduire dans le débat sur l’éducation et à émettre les quelques réflexions suivantes.

MES RÉACTIONS

C’est surtout les propos du Pr Rabesa Zafera qui m’ont interpellé quand il a dit : “…un problème de mauvaise définition de l’ambition de l’école… Le respect de l’ordre, de la rigueur et de la discipline… Et bien évidemment d’autres valeurs humaines telles que la persévérance, le goût du travail, le goût de la compétition, le culte de l’excellence, tout ce qui est compétition, toutes ces valeurs ont disparu complètement dans le système éducatif post-72… Au niveau des valeurs sociales, la liberté, la justice, la loyauté, l’équité, la responsabilité, le respect, toutes ces valeurs sociales ont également disparu parce que les responsables politiques ne se sont plus préoccupés de la culture de ces valeurs dans le système éducatif malgache. Les élèves étaient livrés à eux-mêmes, et les parents avaient démissionné.”

A cet effet, une redéfinition claire de l’ambition de l’école à Madagascar demeure indispensable et urgente. Quelle serait alors la contribution du système éducatif dans le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le faire-savoir des citoyens, notamment au niveau des enfants et des jeunes en vue d’assurer l’avènement d’une nation développée et prospère. “…L’éducation est une arme redoutable.” dixit Nelson Mandela. Tous les acteurs de développement sont appelés à y contribuer, à savoir l’école, la famille, les églises, la société civile, les ONG, les associations, les ministères publics, les autorités administratives décentralisées et le secteur privé… et j’en passe… TOUT L’HOMME ET TOUT HOMME dirait un pape catholique. Tout l’homme malgache et tout malgache – les 30 millions d’âmes sont concernées. L’École vise à façonner le savoir, le savoir-faire et le faire-savoir des apprenants, mais le savoir-être est complètement délaissé. Le Pr Zafera parle des valeurs humaines et sociales, comme l’ordre, la rigueur et la discipline. Le capital humain, comme ressource primordiale dans un développement harmonieux, pérenne et inclusif prend de plus en plus de place dans toute initiative et entreprise. La persévérance, le gout du travail, et le culte de l’excellence sont complètement ignorés et ne sont ni considérés ni enseignés.  Les chercheurs et les enseignants mentionnent maintenant la nécessité d’une santé physique, mentale, intellectuelle, émotionnelle, et relationnelle de tout citoyen pour l’avenir de toutes les nations, y compris Madagascar. C’est le savoir-être. Les dirigeants du pays devraient prendre conscience de ce manquement, et cocher par écrit dans ses politiques/programmes la formation de tout le malgache.

Il a été évoqué que Danton disait : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple », et je préciserais le besoin de toute la Nation. Si l’on veut déterminer les causes des causes des problèmes auxquels la Nation est confrontée, on arriverait aux facteurs individuels et les traits de caractère des acteurs du développement, œuvrant seul ou en équipe, à savoir leur savoir-être. Ce volet ne fait pas l’objet de déclaration manifeste ni d’objectif à atteindre.

Un expatrié m’a fait part une fois des handicaps majeurs pour Madagascar après quelques années passées dans la grande Île. Deux simples remarques m’ont fait beaucoup réfléchir :

Avec les problèmes contemporains, la place du système éducatif dans les problèmes rencontrés au niveau de toutes les nations mérite toute l’attention des dirigeants actuels.

CE QUE JE PROPOSE

  1. L’introduction du savoir-être dans le programme officiel. J’étais dans une école privée chrétienne – primaire et secondaire à Johannesburg Afrique du Sud. En classe de 6ème, une feuille accrochée au box de l’élève figurait plus d’une cinquantaine de traits de caractère à cultiver dans chaque élève de la classe pendant l’année scolaire en cours. Quelque quinzaine ont retenu mon attention : reconnaissant, attentif, disponible, engagé, compatissant, confiance en soi, prévenant, coopératif, courageux, créatif, déterminé, efficace, équitable, assidu, honnête, humble, loyal, optimiste, paisible, ponctuel, respectueux, et responsable… L’école est consciente de la responsabilité de l’institution dans le savoir-être des élèves. Je n’ai pas pu approfondir comment l’école cultive ces traits de caractère, mais ce qui m’a frappé, ce sont les photos des élèves avec leur coupe lors de la remise de récompenses (Awards) en fin d’année pour les élèves qui étaient le plus engagé, le plus respectueux, le plus créatif… et ainsi de suite, quelques traits de caractère déterminés en début d’année.

Que l’administration des écoles publiques à Madagascar introduise ces facteurs du savoir-être des élèves dans le programme officiel. Que les politiques publiques d’éducation mobilisent tous les acteurs de développement dans l’édification d’un savoir être harmonieux chez tout malgache et chez tous les malgaches.

  1. Deux malgaches ne savent pas travailler ensemble. L’ami expatrié m’a fait la remarque autour d’une bière. Comment le pays peut-il avancer avec ce manquement majeur entre les citoyens dans le développement du pays ? J’ai failli ne pas finir mon verre de bière. Il a dit vrai. J’ai fait la rétrospective de mes études à Madagascar : Études en préscolaire, en primaire, en secondaire, et à la Faculté. Les travaux en groupe, la collaboration en équipe et les avis des autres dans ce que j’entreprends ne figurent pas dans le programme, sauf dans des exposés où 2 à 3 élèves se concertent pour le travail. L’étudiant que j’étais veut aller vite. Travailler en équipe est plus dur, plus long et plus difficile. Je me souviens de l’adage. Si tu veux aller vite, travaille seul ; si tu veux aller loin, travaille en équipe. Travailler en solo constitue la manière d’agir d’un malgache. Ce qui manque terriblement : les travaux de groupe pour réfléchir ensemble sur un problème, la capacite de fédérer les idées, de dégager des concepts communs et de mettre en œuvre ces notions dans un projet, dans une transformation des idées en programme concret, cette synergie manquante des techniciens malgaches qui sont performants individuellement.

Que notre système d’éducation à Madagascar soit remis en question et qu’il introduise ce manquement dans le système. Et d’abord que les responsables en soient conscients.

  1. Que le respect du bien commun constitue une valeur importante du citoyen malgache. On n’entend partout le “Fitiava-tanindrazana” – l’amour de la patrie. Mais dans la vie de tous les jours manque terriblement la manifestation de ce leitmotiv vide de sens. On abime les biens communs. On ne les respecte pas. C’est à tout le monde et à Avons-nous déjà constaté les faits malheureux suivants :  les remparts autour du lac Anosy Antananarivo volés et abimés, les poteaux sans plaque solaire qui devraient éclairer la route entre Ampitatafika et Fenoarivo à Antananarivo, les barres de fer manquantes qui confectionnent les ponts des routes nationales, les rails des trains qui disparaissent… et j’en passe. Tout ce qui est monnayable est volé, abimé : fer rond, tuyau de fer, plaques solaires, batterie…

Pourquoi le volet informel submerge le tissu économique malgache ?

Va dans le marché d’Anosibe, un des plus grands marchés de la capitale. Tu vas constater que tous les marchands, grossistes et détaillants font tout pour ne pas facturer officiellement leurs marchandises. Les impôts à payer ne leur revient peut-être pas à leur avis. La notion du bien commun avec leur part consistante dans leur métier dans le développement du pays ne leur est pas assez inculquée dès leur plus jeune âge. Comment introduire cette notion primordiale dans tout le malgache et dans tous les malgaches ?

  1. Les problèmes majeurs rencontrés au niveau de la société : Les défis sont innombrables: la non acceptation des autres, la non considération de la diversité, l’ignorance des problèmes du pays, la non contribution de toute sorte à la résolution des goulots d’étranglement que rencontre le pays, le comportement agressif et violent des jeunes, le manque d’outils et de moyens des jeunes pour s’introduire dans le marché de travail et faire face aux défis de la vie (Life skills), la culture de la corruption qui prévaut dans le pays, la mentalité déplorable du citoyen déclarée comme source de la pauvreté etc., etc… Tous ces faits de société peuvent servir de matières premières pour l’établissement d’un système éducatif approprié, pertinent et efficace.

 Quel est le but du pays ?

Ou mènent les objectifs de chaque filière et de chaque département ?

Quelle devrait être la synergie de toutes les forces vives du pays pour mener le citoyen à être un acteur majeur du développement ?

Quel profil de citoyen veut édifier le pays ?

Quand on ne sait pas où on veut aller, on peut se retrouver nulle part, dirait une citation.  Toutes ces questions méritent d’être posées, discutées, et débattues continuellement au niveau de chaque Nation, chaque société, chaque tribu et chaque localité. Le système éducatif requiert cela, se base sur cela et concourt à cela, en l’occurrence à Madagascar.

Le monde est malade, dirait le médecin que je suis. Madagascar figure parmi les quelques 200 pays au monde. Mais le problème est universel. Le système éducatif fait défaut en général. Les vrais problèmes ne sont ni bien connus, ni assez déterminés, ni convenablement mesurés, ni résolus correctement. Les facteurs déterminants du système éducatif méritent d’être revus pour chaque pays. Certes, ce n’est pas à l’école toute seule que revient l’atteinte de ces facteurs du savoir-être primordiaux indispensables pour la vie en famille, la vie en société, la vie dans une entreprise et surtout la vie nationale. Le citoyen reste en général un acteur secondaire du développement, de la lutte contre la pauvreté et des résolutions des problèmes majeurs. La place de system éducatif de chaque pays est sous-estimé.

COMMENT PROCÉDER ?

Ce ne sont pas les chercheurs qui manquent. Donnons-leur la place qu’ils méritent, avant les économistes, avant les politiciens, et avant les entrepreneurs. Et les initiatives louables existent.

Pour terminer, je dirais, ce qui manque, c’est la perception et la détermination des dirigeants sur le focus éducation à l’endroit des vrais goulots d’étranglement. Par ailleurs la conscientisation des dirigeants, l’interdisciplinarité des acteurs de développement et la remise en cause du système éducatif demeurent indispensables. La lutte contre la pauvreté risque de manquer de base interdisciplinaire. Le système éducatif malgache requiert encore toute une approche multi-dimensionnelle. 

Dr Rigobert Rafiringason

[1] https://www.diapason.mg/4eme-conference-table-ronde-quid-de-leducation-a-madagascar-video/

Analyse ICECAP (ndlr)

 

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