Énergie à Madagascar : le mirage du redressement et la mécanique de la dépendance

Date : 18/07/25 La trajectoire énergétique de Madagascar se lit comme une parabole du XXIe siècle africain : un pays riche de soleil, d’eau et de vent mais dont la majorité de la population vit toujours dans l’obscurité. À peine 6 % des ménages ruraux disposent d’un accès à l’électricité. Dans les villes, les coupures sont devenues la norme. Et au centre de cette dissonance se trouve une entreprise nationale, la JIRAMA, à la fois pilier historique et symbole de la faillite d’un modèle. En 2025, un plan de redressement[1] est proposé. Il est structuré, chiffré, prudent. Il ambitionne de ramener le déficit opérationnel de la JIRAMA de -1 070 milliards MGA à un équilibre en 2028. Il mise sur les énergies renouvelables, l’optimisation des pertes, la restructuration de la dette et la contribution du secteur privé. Mais derrière les colonnes Excel se dessine une autre réalité. Celle d’un pays qui ne maîtrise plus son secteur énergétique, et qui court le risque de céder un peu plus de sa souveraineté à chaque kilowatt-heure injecté. Méthode ICECAP Partie visible : déficits, coupures, précarité énergétique L’analyse croisée des documents « Comprendre la situation énergétique de Madagascar[2] », « L’architecture de la dépendance[3] » et « Cartographie économique des communautés[4] » met, en effet, en lumière un paysage énergétique affaibli sur toute la ligne. En 2023, seulement 33 % des Malgaches ont accès à l’électricité, avec une couverture rurale inférieure à 6 % (Dossier Énergie, Diapason[5]). Le réseau national présente plus de 30 % de pertes techniques et commerciales, tandis que la production publique (par la JIRAMA elle-même) ne représente plus que 28 % du total injecté. Le reste provient d’acteurs privés (IPP[6]), qui imposent leurs conditions. Données clés (extraits des 3 dossiers) Indicateur Valeur Source Taux d’accès à l’électricité (2023) 33 % national – 6 % en zone rurale Dossier Énergie Part du fioul lourd et diesel dans le mix +70 % Dossier Énergie Subventions à la JIRAMA (2024) +1000 Mds MGA (~200 M$) Dossier Énergie Dette cumulée de la JIRAMA >2700 Mds MGA Plan JIRAMA Production publique (JIRAMA) <30 % Dossier Énergie Part du privé (IPP) dans la production >60 %, en croissance Dossier Énergie Fournisseurs de carburant Jovena, Galana, Total, Vivo Dossier Énergie, Cartographie Nombre de groupes électrogènes importés (2022–2024) >500 (estimation non officielle) Cartographie Contribution des IPP solaires (2024) <5 % du mix, mais en forte progression Dossier Énergie Les chiffres sont têtus, implacables. En 2024, l’État malgache a dû allouer plus de 1 000 milliards MGA en subventions à la JIRAMA (environ 200 millions USD). Et malgré cela, les délestages continuent, les groupes électrogènes pullulent, et les factures ne cessent d’augmenter. La dette cumulée de la JIRAMA dépasse 2 700 milliards MGA. L’État doit des centaines de milliards à ses fournisseurs de fioul. Mais le service ne s’améliore pas. Partie invisible : captation silencieuse, dépendance chronique Le plan de redressement JIRAMA présente un volet technique rassurant : passage au solaire, batteries, récupération des pertes. Mais il ignore les causes systémiques : contrats déséquilibrés, régulation absente, gouvernance opaque. L’énergie, dans un pays sans capital public suffisant, devient une rente. Une rente non pas captée par l’État, mais par une minorité d’acteurs économiques puissants, souvent transnationaux. Les producteurs privés vendent l’électricité à plus de 25 centimes d’euro le kWh à la JIRAMA, qui la revend à perte. Le modèle “take-or-pay[7]” oblige l’État à acheter même l’énergie non consommée. Cette logique n’est pas propre à Madagascar, mais elle y atteint un niveau critique, en l’absence de régulateur réellement indépendant. La dépendance ne s’arrête pas à la production. Les infrastructures logistiques, les stocks de carburant, les systèmes de maintenance sont eux aussi aux mains d’acteurs privés. Et ce sont ces mêmes groupes qui bénéficient des marchés de construction, des garanties de paiement, et d’un cadre fiscal peu contraignant. Source primaire : choix politiques sans rupture Le cœur du problème réside dans un choix de gouvernance. Celui de déléguer sans cadrer, de rechercher l’efficacité sans exiger de contrepartie stratégique. Les documents de Diapason parlent d’une “fusion des intérêts publics et privés” : lorsque l’État devient dépendant de ses créanciers énergétiques, il devient un simple facilitateur. Le système énergétique comme matrice de la dépendance Le Dossier “Architecture de la dépendance” montre que Madagascar est pris dans un cercle vicieux : Faible production publique → recours au privé → dette publique → perte d’autonomie → reconduction du système. Le système énergétique en est l’archétype : L’État achète de l’électricité à prix élevé (souvent >25 c€/kWh) à des producteurs privés (IPP). Il revend cette énergie en dessous du coût réel pour éviter des révoltes sociales → déficit structurel. La JIRAMA devient dépendante des fournisseurs de carburant (Jovena, Galana), eux-mêmes créanciers par ailleurs de l’État. Exemple concret : en 2023, la JIRAMA doit encore plusieurs centaines de milliards d’ariary à ses fournisseurs de fioul lourd. Cela donne à ces groupes une influence silencieuse, comparable à celle des banquiers du Moyen Âge sur les États endettés. Motivation : le contrôle par la rente Ce qui motive la consolidation d’un tel système n’est pas nécessairement la recherche du chaos, mais le contrôle par la rente. Le contrôle des flux financiers, logistiques et politiques devient plus puissant que le contrôle administratif. Celui qui vend du carburant à un État incapable de payer, qui construit ses centrales, qui impose ses clauses contractuelles, contrôle plus que l’exécutif lui-même. Ce pouvoir, parce qu’il ne passe pas par les urnes, est encore plus Dangereux. Sujet déclencheur : économie de rente énergétique L’énergie est ici plus qu’un bien stratégique. Elle est la condition de possibilité de toute activité économique. Elle transforme l’économie réelle, mais elle est elle-même transformée en économie de rente. À Madagascar, le fioul et l’électricité n’alimentent pas seulement les usines et les foyers, ils alimentent des structures de pouvoir. Et cette centralité énergétique est captée par des intérêts minoritaires, nationaux ou transnationaux, qui structurent la dépendance. Points COMMUNS Élément Plan JIRAMA (2025–2028) Dossier Énergie – Diapason Diagnostic Dépendance massive au thermique, pertes techniques, dettes colossales, mauvaise qualité

Madagascar au bord de la rupture : Jirama, gouvernance défaillante et urgence nationale

Diapason est un « think tank » qui veut poser des questions, nourrir le débat, valoriser les initiatives et favoriser l’innovation socio-économique et politique pour le développement de Madagascar. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du think tank.  Nos valeurs Boussole / Cap Indépendance politique Multiculturel Vision à long terme Trait d’union entre savoir et pouvoir Éducation Recul nécessaire Liberté d’action Disruptif Bonne lecture !   Date : 17/07/25 Madagascar traverse aujourd’hui une des pires crises de son histoire contemporaine. Au cœur du malaise : la réforme de la société nationale d’eau et d’électricité, la Jirama, rejetée avec force par les syndicats qui ont lancé une grève générale. Cette situation n’est que la partie visible d’un iceberg bien plus vaste : défaillance chronique de communication, absence de dialogue social, gouvernance autoritaire, et surtout, une population à bout. Une crise énergétique devenue insoutenable Depuis des années, les Malgaches vivent au rythme des coupures d’électricité interminables et d’un accès à l’eau potable de plus en plus incertain. Cette réalité touche chaque foyer, chaque entreprise, chaque établissement scolaire ou de santé. Ce ne sont pas seulement des désagréments : ce sont des entraves quotidiennes à la vie et au développement du pays. Aujourd’hui, alors que la Jirama est censée être réformée pour améliorer ses performances, les décisions se prennent dans l’opacité, sans concertation ni respect du droit des travailleurs. Résultat : un conflit social massif, un climat de tension et de méfiance, et une réforme déjà rejetée par ceux qui doivent en être les acteurs. Une gouvernance sourde face à l’effondrement La gouvernance actuelle, centralisée et autoritaire, semble ignorer l’ampleur de la colère sociale et l’épuisement général. Pourtant, les signaux sont clairs : déficit budgétaire abyssal, risque imminent de faillite des finances publiques, croissance en berne, et maintenant paralysie du secteur énergétique, sans lequel aucune relance n’est possible. Ce n’est plus un simple avertissement. C’est un compte à rebours. Une crise socio-économique sans précédent Quand un pays n’a ni lumière ni eau, ni confiance en ses institutions, il glisse fatalement vers une crise socio-économique majeure. Déjà, des pans entiers de la population vivent dans la précarité extrême. Les jeunes fuient un avenir bloqué. Les entreprises ferment. L’agriculture souffre. Et pourtant, aucun plan de sortie de crise sérieux n’est présenté à la nation. L’heure est venue de changer de cap Ce pays a besoin d’un véritable sursaut national. Cela commence par : Un dialogue immédiat et sincère entre le gouvernement, les syndicats et la société civile ; Une réforme transparente et concertée de la Jirama, basée sur l’intérêt public et non sur des décisions unilatérales ; Une transition vers une gouvernance plus ouverte, responsable et respectueuse des droits démocratiques ; Des solutions urgentes pour garantir l’accès à l’eau et à l’électricité à tous les Malgaches, sans discrimination géographique ou sociale. Pour un avenir digne des Malagasy Les Malgaches ne demandent pas l’impossible. Ils demandent de vivre dignement, dans un pays qui respecte ses citoyens, qui valorise son potentiel et qui ne sacrifie pas son avenir pour des intérêts à court terme. L’histoire nous regarde. L’heure n’est plus aux discours, mais à l’action. Madagascar doit choisir : sombrer dans le chaos ou se relever avec courage et lucidité. Zaza Ramandimbiarison   Télécharger l’article :  Ici 🗞  

Comment empêcher un continent de se tenir debout ?

Date : 11/07/25 Une anthropologie de l’empêchement appliquée à l’Afrique, à Madagascar, et à ses territoires invisibles L’Histoire n’est pas linéaire. Elle bifurque. Elle dissimule ses mécanismes derrière des mots nobles, des traités, des plans de développement, ou des silences bien polis. Mais lorsqu’on la regarde sans complaisance, lorsqu’on suit les traces de la dépossession dans les institutions, les récits, les budgets, les esprits et les cartes, une mécanique ancienne ressurgit. Une mécanique d’empêchement. C’est elle que le présent article essaie de mettre en évidence. Non pas à travers les discours, mais à l’aide de l’observation des faits et des structures. Car il y a bien un art subtil, millimétré, pour empêcher un continent de devenir une puissance, économique en l’occurrence. Pour lui faire croire qu’il avance alors qu’il tourne en rond. Pour l’occuper à gérer des urgences qu’on a rendues permanentes. Et ce qui vaut pour l’Afrique est applicable, de manière saisissante, à la situation de Madagascar. Ce pays immense, stratégique, riche, mais toujours maintenu à genoux. Il en est même pour le modèle réduit, le symbole ultime : les îles éparses, territoire maritime amputé, oublié, mais vital. Une absence qui dit en dit long, une sorte de laboratoire à ciel ouvert. Entretenir la dépendance économique Commençons par la base : l’économie de rente. Voilà des décennies que l’Afrique est maintenue dans un rôle de pourvoyeuse de matières premières. Elle produit, mais elle ne transforme pas. Elle vend, mais ne fixe aucune valeur. Elle commerce, mais selon les prix des autres. Le schéma est connu. Pourtant il perdure. Madagascar, à cet égard, est exemplaire. Vanille, nickel, or, graphite : tout part, brut. Ce qui revient, c’est la pauvreté[1]. Le pays importe jusqu’à ses tomates en conserve, et son pétrole brut engloutit ses devises. Le déficit commercial est chronique. La dette, structurelle. L’ariary, impuissant. Et pourtant, l’on continue d’appeler cela « croissance »[2]. Les Îles Éparses ? Une zone économique exclusive de 640 000 km². Riche en poissons, potentiellement en hydrocarbures. Mais hors d’atteinte. Administrée depuis Paris, exploitée à la marge, invisible dans les comptes nationaux. Un territoire qui pourrait produire, mais ne produit rien pour ceux à qui il devrait appartenir. Afrique Madagascar Îles Éparses Économie centrée sur l’export de matières brutes sans transformation. Systèmes monétaires contrôlés (ex : franc CFA). Piège de la dette. Madagascar reste dépendant des exportations primaires (vanille, graphite, or) sans industrialisation. Importations massives d’énergie et de produits de base. Les Îles Éparses sont riches en ressources halieutiques, minières, voire énergétiques (hydrocarbures), mais exclues de l’économie nationale.   ➤ But : empêcher l’accumulation de capital, maintenir l’Afrique dans une économie de rente. Capter les élites, brouiller les récits Un peuple sans récit est un peuple sans boussole. L’Afrique est riche de cultures, mais pauvre en récits stratégiques contemporains. Ce n’est pas un hasard : la formation de ses élites est pensée hors-sol. Elles sont diplômées, mais déracinées. Ambitieuses, mais désorientées. Madagascar souffre aussi de ce syndrome[3]. Les plus brillants partent, ou se soumettent. Ceux qui restent ne sont pas formés à penser le pays en termes de puissance. Ils deviennent comptables de la survie, pas architectes du destin. L’école ne raconte plus l’histoire. Elle produit des techniciens[4]. Les Îles Éparses, elles, ne figurent pas dans les livres scolaires. Elles ne sont ni un rêve, ni une blessure, ni un combat. Juste une absence. Pourtant, elles incarnent une question géopolitique majeure, un défi à la souveraineté, un levier économique et symbolique colossal. Mais elles ne font pas récit. Elles sont refoulées. Afrique Madagascar Îles Éparses Élites cooptées par la formation occidentale. Production de récits dominés par des paradigmes extérieurs. Affaiblissement des imaginaires souverains. Élite malgache formée à l’étranger et souvent déconnectée. Faible capacité à produire des récits structurants, fierté nationale affaiblie. Le peuple malgache ignore majoritairement l’existence et les enjeux des îles Éparses. Le récit national ne les inclut pas. ➤ But : empêcher l’émergence d’une conscience collective stratégique. Fragmenter les territoires, diviser les peuples L’Afrique est morcelée. C’est une évidence géographique, mais aussi politique et mentale. Les frontières héritées de la colonisation ont produit des États trop petits pour peser, trop divisés pour s’unir. On a fabriqué des rivalités locales pour éviter les solidarités globales. Madagascar, bien que d’un seul tenant, souffre d’un autre type de fragmentation : une centralisation autoritaire qui produit des périphéries abandonnées. Des régions sans pouvoir, des gouverneurs non élus, des infrastructures bloquées. Le pays fonctionne à deux vitesses, voire à trois. Les Îles Éparses, c’est la fragmentation portée à son extrême. Un morceau du territoire maritime amputé, administré par un autre État, sans que personne ne s’en émeuve vraiment. L’océan Indien y est quadrillé, contrôlé, militairement sécurisé mais pas par Madagascar. C’est une ligne de fracture invisible mais puissante. Et entretenue[5]. Afrique Madagascar Îles Éparses Héritage colonial : balkanisation en 54 États. Frontières absurdes. Tensions ethniques instrumentalisées. Structure territoriale décentralisée en apparence, mais recentralisée de fait. Gouverneurs non élus. Fragmentation politique et identitaire. Les îles Éparses sont physiquement malgaches mais administrativement Françaises, créant une coupure territoriale et symbolique majeure. ➤ But : empêcher l’unité spatiale et politique, donc la puissance collective. Neutraliser les systèmes de gouvernance Une puissance se construit sur des institutions fortes. Or, l’Afrique est piégée entre deux extrêmes : des constitutions copiées sans adaptation, et des institutions contournées à volonté. Les contre-pouvoirs sont faibles, la justice est politisée, le législatif est décoratif. À Madagascar, cette réalité est particulièrement visible. Le Parlement vote ce qu’on lui donne. La justice exécute. Les lois sont nombreuses, mais souvent inappliquées. Les institutions de contrôle sont neutralisées par la peur ou le manque de moyens. Le pouvoir est vertical, verrouillé[6]. Et face aux Îles Éparses ? Rien. Pas de stratégie, pas de front juridique, pas de mobilisation diplomatique. Comme si le pouvoir lui-même avait renoncé à agir. Comme si la souveraineté était optionnelle. Pourtant, dans d’autres pays, des îles moins stratégiques ont fait l’objet de batailles acharnées. Ici, non. Le verrou est mental. Afrique Madagascar Îles Éparses États faibles, institutions formelles mais contournées. Justice dépendante. Constitution manipulable. Contrôle exécutif total, Parlement coopté,

Les dirigeants africains et le pouvoir

Date : 04/07/25 Depuis les années 1960, l’histoire politique africaine est jalonnée de promesses de renouveau trahies, de soulèvements populaires étouffés et de leaders autoproclamés sauveurs devenus, au fil du temps, des gardiens sourcilleux d’un ordre, souvent imposé en arrière-plan pour la défense d’intérêts particuliers et/ou étrangers, bâti sur la peur. Madagascar, île aux destins contrariés, n’échappe pas à ce cycle. À la veille d’échéances cruciales, le pays semble rejouer la partition d’un continent où la démocratie avance à pas comptés, entravée par la force, l’argent et la tentation dynastique. Cet article propose un voyage dans cette histoire d’ombres et de lumières, pour comprendre comment le passé façonne le présent et éclaire peut-être les chemins de demain. Introduction Le pouvoir et l’autoritarisme en Afrique depuis les indépendances. Depuis les indépendances, le pouvoir en Afrique s’est souvent construit dans un climat de tension entre aspirations populaires et manœuvres d’élites. De nombreux leaders, portés initialement par une légitimité révolutionnaire ou nationaliste, se sont peu à peu mués en gardiens jaloux d’un système autoritaire. Le discours de l’unité nationale, la peur du chaos ou de l’ingérence étrangère ont souvent servi de prétexte pour réduire les libertés publiques, manipuler les constitutions et consolider des régimes marqués par la personnalisation et l’appropriation des institutions. L’autoritarisme est ainsi devenu, pour une large partie du continent, un mode de gouvernance durable, façonnant les rapports entre dirigeants, peuple et communauté internationale. Contexte historique des leaders autoritaristes africains et leurs trajectoires. Durant les années 1960 et 1970, le continent africain a été secoué par des vagues de coups d’État militaires et de renversements de pouvoir, souvent appuyés ou tolérés par des puissances étrangères. De la Somalie de Siad Barre à l’Ouganda d’Idi Amin, en passant par le Soudan d’Omar al-Bashir, les trajectoires autoritaristes ont généralement commencé par une promesse : rétablir l’ordre, moderniser l’État ou libérer la nation d’anciens systèmes jugés corrompus ou inefficaces. Rapidement, ces leaders se sont entourés de cercles restreints, ont bâillonné la presse et les oppositions, ont érigé la constitution en outil de prolongation de leur pouvoir et ont instauré une répression féroce pour consolider leur autorité. Ces schémas se sont répétés, décennie après décennie, créant une histoire politique marquée par la violence d’État, le culte de la personnalité et la persistance d’une gouvernance autoritaire. Historique des régimes autoritaristes en Afrique Coup d’État et prise de pouvoir violente (ex : Somalie, Ouganda, Tchad). Les stratégies communes de maintien au pouvoir en Afrique reposent souvent sur une combinaison d’outils juridiques, institutionnels et de force. Nombre de dirigeants ont modifié ou contourné les constitutions pour abolir les limitations de mandat, légitimer des élections biaisées ou renforcer un exécutif hypertrophié. D’autres ont consolidé leur emprise grâce à des appareils sécuritaires redoutables, utilisant la peur et la violence pour étouffer la contestation. La manipulation électorale, de la fraude massive aux intimidations directes, est devenue une arme récurrente, tandis que le népotisme, en plaçant des proches à des postes clés, permet de verrouiller le système de l’intérieur. À cela s’ajoute la capacité de mobiliser un discours populiste ou nationaliste pour rallier une partie de l’opinion et justifier la concentration du pouvoir. Dirigeant Pays Prise de pouvoir Siad Barre Somalie (1969–1991) Coup militaire après assassinat civil (files.ethz.ch, en.wikipedia.org, en.wikipedia.org) Idi Amin Ouganda (1971–1979) Coup militaire contre Obote Omar al-Bashir Soudan (1989–2019) Coup militaire via Council for National Salvation Hissène Habré Tchad (1982–1990) Coup militaire, instauration d’un régime à parti unique Omar Bongo Gabon (1967–2009) Succession par stabilité politique, monopartisme Teodoro Obiang Guinée équatoriale (1979–présent) Coup contre son oncle, puis régime militaire monolithique Yoweri Museveni Ouganda (1986–présent) Rébellion armée, guerre civile, puis monopole du pouvoir Teodoro Obiang et Paul Biya, Denis Sassou Nguesso, Isaias Afwerki Afriques diverses Régimes précédents persistant >30 ans Construction des monopoles politiques et verrouillage institutionnel (parti unique, suppression des oppositions). Dès les premières années post-indépendance, de nombreux dirigeants africains ont érigé le parti unique en outil d’encadrement de la vie politique. Sous couvert d’unité nationale et de lutte contre les divisions ethniques ou régionales, ces chefs d’État ont supprimé les oppositions, intégré leurs rivaux dans des structures de façade et instauré un contrôle étroit des médias et des organisations de la société civile. Ce verrouillage institutionnel s’est accompagné d’une personnalisation du pouvoir, où la figure du leader devenait l’incarnation de la nation. Les parlements ont été réduits à des chambres d’enregistrement, les syndicats cooptés ou dissous, et toute critique assimilée à une trahison. Ce modèle a permis à des régimes de durer des décennies, malgré les crises économiques ou sociales. Exemple, Siad Barre installe en Somalie le parti unique SRSP[1] ; Omar Bongo (Gabon) passe à la multi-réélection à volonté et mandats de 7 ans[2]. Népotisme et dynasties émergentes (ex : Gabon, Guinée équatoriale). Le népotisme est devenu un pilier des régimes autoritaristes africains, transformant l’État en patrimoine familial. Au Gabon, la longévité d’Omar Bongo puis la succession de son fils Ali ont illustré cette dérive vers une monarchie républicaine. En Guinée équatoriale, Teodoro Obiang a préparé sa descendance à hériter du pouvoir, plaçant son fils à des postes stratégiques, y compris dans la gestion du pétrole, ressource clé du pays. Au Zimbabwe, en septembre 2023, le président Emmerson Mnangagwa a nommé son fils David Kudakwashe Mnangagwa, 34 ans, comme ministre adjoint des Finances, sans passage par un appui populaire ou long parcours institutionnel[3]. Il était déjà présent lors de réunions avec des investisseurs étrangers avant la nomination, ce qui lui a permis d’exercer une influence significative en dehors d’un mandat électif. En Afrique du Sud, en 2014, Thuthukile Zuma, fille de l’ancien président Jacob Zuma, devient chef de cabinet du ministère des Télécommunications à seulement 25 ans. Sa nomination a suscité de fortes critiques pour son inexpérience et l’absence de mise en concurrence[4]. Elle accompagnait aussi son père dans ses fonctions officielles, même si elle n’avait aucun rôle politique élu. Au Sénégal, sous le mandat de son père, le président Abdoulaye Wade (2000–2012), son fils Karim Wade était surnommé « Mister 15 % » en raison de sa mainmise sur des marchés publics. Il ne

L’État en trompe-l’œil : quand la structure institutionnelle organise l’impuissance

Par un matin ordinaire, les murs de la République malgache se dressent avec majesté. Gouverneurs, députés, sénateurs, juges, institutions spécialisées… tout semble en place. Mais à y regarder de plus près, ces murs sonnent creux. À Madagascar, l’État existe, mais ne fonctionne pas. Ou plutôt, il fonctionne pour ne pas fonctionner. Le schéma de la République : un édifice institutionnel bien pensé L’architecture institutionnelle de Madagascar repose sur quatre niveaux hiérarchisés : les communes (1 693 environ), les régions (25 depuis 2023), les provinces (6 restantes), et l’État central. À chaque étage, la Constitution prévoit des organes délibératifs (assemblées) et des chefs exécutifs élus. Au sommet, l’Assemblée nationale (163 députés) et le Sénat (18 membres) représentent le pouvoir législatif. La Haute Cour Constitutionnelle veille sur les normes. Le gouvernement, avec à sa tête un président omniprésent, incarne l’exécutif. Et un réseau d’agences spécialisées (CSI, Bianco, PAC) est censé garantir l’intégrité de la République. Un schéma cohérent. Une promesse de démocratie. Mais la réalité n’a pas suivi. Héritage français : une Constitution taillée pour le déséquilibre Lorsque Madagascar accède à l’indépendance en 1960, elle hérite, sans adaptation profonde, de la Constitution de la Cinquième République française. Ce modèle, conçu pour répondre à une crise de régime en France, repose sur une concentration assumée du pouvoir exécutif entre les mains du président. Importée sans contrepoids dans un jeune État sans tradition démocratique consolidée, cette architecture a généré dès l’origine un déséquilibre fatal. Le président y dispose d’un pouvoir quasi absolu : il nomme le Premier ministre, peut dissoudre l’Assemblée, contrôle la nomination des chefs de région, oriente les juridictions suprêmes, et détient la clef des institutions indépendantes. Dans un contexte malgache où l’État de droit est fragile, cette organisation a rendu impossible l’émergence d’un véritable parlementarisme, et a encouragé la subordination de la justice comme des collectivités territoriales. En somme, Madagascar n’a pas seulement hérité d’un texte juridique. Elle a hérité d’un imaginaire politique vertical, où l’exécutif est le tout et les contre-pouvoirs sont décoratifs. Une Constitution faite pour protéger la stabilité d’un État fort est devenue, ici, le moteur d’un pouvoir verrouillé. Une mécanique volontairement grippée « Tout est là, mais rien ne fonctionne », résume Brice Lejamble[1] dans son interview[2], ancien secrétaire général du Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité (CSI). Dans un entretien sans filtre, il décrit une République habillée de normes, mais rongée par une pratique de la captation. La Constitution prévoit des gouverneurs élus ? Tous sont nommés. Une Assemblée régionale devait exister dans chaque région ? Jamais constituée. La loi sur l’accès à l’information est discutée depuis 15 ans ? Jamais votée. Et la Haute Cour de Justice, pourtant clé pour poursuivre les ministres, reste un projet fantôme. Les députés,163 au total, vivent pour la plupart à Antananarivo. Ils ne contrôlent pas l’action gouvernementale, ne défendent pas leur territoire, ne s’érigent pas en défenseurs de la décentralisation. « Aucun ne demande pourquoi le chef de région n’est pas élu », s’étonne Lejamble. Ils se contentent de leur immunité et d’un mandat qu’ils n’exercent pas. L’exemple Romy Voos : la grande démonstration d’impuissance Romy Voos, ancienne directrice de cabinet du Président de la République, a été reconnue coupable de corruption par un tribunal londonien. Peine purgée. Dossier clos. À Londres. Mais à Madagascar ? Aucun signalement, aucune enquête du Bianco. Aucun débat parlementaire. Silence radio. Pourtant, comme le rappelle Brice Lejamble, les faits concernaient directement la présidence. Et donc, potentiellement, des complicités locales. Quand les juges attendent les ordres La justice malgache fonctionne sur une anomalie : les juges obéissent aux procureurs. Et les procureurs, au gouvernement. « C’est une inversion complète de la hiérarchie judiciaire », s’indigne Lejamble. La Haute Cour de Justice, seule habilitée à juger les ministres, n’est toujours pas mise en œuvre. Treize ministres font l’objet de dossiers dormants. L’Assemblée nationale, qui doit autoriser les poursuites, refuse même d’en débattre. ICECAP : sous l’iceberg des institutions, l’État captif L’analyse ICECAP (Iceberg Causal Analysis Protocol) illustre le décalage entre ce qui est visible, l’inaction, les blocages, et ce qui est invisible : la captation des institutions, la subordination des juges, le verrouillage des textes. Partie visible (symptômes) Partie invisible (causes systémiques) – Aucun haut responsable condamné pour corruption – Blocage de la Haute Cour de Justice – Gouverneurs nommés malgré la Constitution – Refus d’appliquer la décentralisation réelle – Loi sur l’accès à l’information bloquée depuis 15 ans – Volonté de maintenir l’opacité sur les actes de l’État – Bianco et PAC inefficaces – Neutralisation législative des organes de contrôle – Juges passifs ou aux ordres du procureur – Subordination hiérarchique contraire à l’indépendance judiciaire – Députés absents de leur circonscription – Déconnexion volontaire du parlement avec les territoires – Structures locales de concertation inexistantes – Mise en scène d’une participation citoyenne fictive – Pas d’enquête sur des affaires internationales (ex : Romy Andrianarisoa) – Connivence entre hautes sphères du pouvoir et complicité institutionnelle – Jeunesse désabusée, exode croissant – Échec de l’État à remplir ses promesses fondamentales de développement Résumé Élément visible Cause invisible profonde Aucune condamnation de ministre Nécessité de l’accord parlementaire Chefs de région nommés Refus de mise en œuvre de la Constitution Institutions existantes mais stériles Sabotage interne et dépendance exécutive Absence de loi sur les lanceurs d’alerte Volonté d’empêcher la transparence Source primaire des dysfonctionnements (par ICECAP) Catégorie  Présente dans ce cas ? Exemples Choix de gouvernance ✅ Refus de mettre en œuvre les lois votées, chefs non élus, concentration du budget Pression des intérêts privés ✅ Élites protégées, verrouillage du PAC, grandes affaires jamais traitées Pression internationale 🔶 partielle Conditionnalité floue des bailleurs, normalisation de l’inefficacité Méconnaissance / Ignorance 🔶 marginale Moins pertinente ici, car l’architecture institutionnelle est connue Motivation humaine dominante (selon ICECAP) Motivation Présente ? Justification Contrôle ✅ Les lois sont sabotées pour éviter toute perte de pouvoir Cupidité ✅ Le pouvoir est utilisé pour l’enrichissement, non pour le service public Indifférence ✅ Le sort des pauvres, des enfants malnutris, des territoires est ignoré Résignation ✅

La notion du « tanindrazana » risque d’entraver le développement

Diapason est un « think tank » qui veut poser des questions, nourrir le débat, valoriser les initiatives et favoriser l’innovation socio-économique et politique pour le développement de Madagascar. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du think tank.  Nos valeurs Boussole / Cap Indépendance politique Multiculturel Vision à long terme Trait d’union entre savoir et pouvoir Éducation Recul nécessaire Liberté d’action Disruptif Bonne lecture !   La terre occupe une place centrale dans la vie culturelle, économique et spirituelle des Malgaches. À Madagascar, plus de 70 % de la population vit de l’agriculture et la terre est bien plus qu’une ressource physique. Elle représente l’identité, le patrimoine et la survie. Mais la notion du « tanindrazana », quand elle dépasse la limite du raisonnable, peut nuire au développement. Pour les communautés malgaches, la terre est intrinsèquement liée aux ancêtres. Le concept de « tanindrazana », ou « terre des ancêtres », est fondamental dans la vie quotidienne. La terre, le lieu où sont enterrés les ancêtres, sert de lien direct entre les vivants et les morts. Selon l’anthropologue Sandra Evers, la terre est considérée comme sacrée dans de nombreuses communautés et son utilisation est souvent régie par des lois coutumières transmises de génération en génération (Evers, 2006). Des pratiques cérémonielles telles que le « famadihana » (retournement des morts) renforcent ce lien, car elles se déroulent sur des terres ancestrales et requièrent la présence de tombes familiales. La perte de la terre est donc souvent perçue non seulement comme un coup dur économique, mais aussi comme une déconnexion spirituelle. Et la situation devient critique quand c’est un étranger qui vient occuper la terre. L’économie malgache reste largement agraire. Selon la Banque mondiale, plus de 80 % de la population est engagée dans l’agriculture (Banque mondiale, 2023). Le riz, le manioc et le maïs sont des cultures de base, et la possession ou l’accès à la terre est essentiel pour la production alimentaire et le revenu des ménages. Cette culture, bien qu’occupant la grande majorité des Malgaches, reste pourtant une culture de subsistance. À Madagascar, les droits fonciers sont largement régis par des systèmes de tenure coutumière, en particulier dans les zones rurales où l’enregistrement formel par l’État est limité. Selon une étude de la Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC), seulement 10 % des terres à Madagascar sont formellement titrées, tandis que le reste est détenu et transféré par le biais de pratiques coutumières (Teyssier et al., 2009). Ces systèmes coutumiers sont souvent gérés par les anciens du village ou les chefs locaux, qui attribuent les terres en fonction du lignage, des besoins et de la tradition. Bien qu’efficace à bien des égards, l’absence de documentation formelle peut entraîner des litiges, une marginalisation – en particulier des femmes – et des difficultés lorsque des acteurs extérieurs cherchent à investir ou à acquérir des terres. Pour remédier à l’insécurité foncière, le gouvernement malgache a lancé, depuis 2005, des réformes foncières visant à décentraliser la gestion des terres et à simplifier le processus de certification foncière. Ces réformes, soutenues par la Banque mondiale et d’autres partenaires internationaux, ont eu des résultats mitigés. La qualité des services des domaines laisse encore à désirer. Souvent, des pages des livres des cadastres sont déchirées, ou ce sont les livres eux-mêmes qui disparaissent. Une étude de l’Observatoire du Foncier de Madagascar note que si plus de 500 bureaux fonciers locaux ont été créés, beaucoup d’entre eux manquent de ressources et l’utilisation des certificats fonciers reste faible en raison d’un manque de sensibilisation et d’obstacles administratifs (Observatoire du Foncier, 2020). Au cours des dernières décennies, Madagascar a vu l’intérêt croissant des investisseurs étrangers pour l’accès à la terre, en particulier pour l’agriculture, l’exploitation minière et les infrastructures. Un cas controversé s’est produit en 2009 lorsqu’une proposition de location de 1,3 million d’hectares à la société sud-coréenne Daewoo Logistics a suscité un tollé général et a contribué à une crise politique qui a renversé le gouvernement (Reuters, 2009). Tout récemment, le gouvernement a annoncé qu’un accord a été signé entre le gouvernement malgache et des Israéliens pour l’exploitation agricole de 60 000 ha de terrains. À l’heure où nous rédigeons cet article, nous n’avons pas encore de détails relatifs à cet accord. Mais on ressent déjà la réticence des Malgaches sur les réseaux sociaux. De tels incidents soulignent la profonde sensibilité émotionnelle et politique des questions foncières à Madagascar. De nombreux compatriotes considèrent la location ou la vente de terres à grande échelle comme une atteinte à la souveraineté et une menace existentielle pour les communautés rurales. Et c’est là que la question se pose : devrions-nous laisser les terres dans leur état de « tany lava volo » qui ne rapportent rien à personne, ou bien devrions-nous laisser les étrangers les exploiter pour les valoriser et contribuer au développement économique du pays et des ménages malgaches ? Pendant un court instant, oublions le fait que ce soit des Israéliens qui ont obtenu l’accord sur les 60 000 ha. Laissons de côté aussi l’aspect politique, ignorons les gouvernants actuels, et observons la situation de manière objective. Selon l’Economic Development Board of Madagascar (EDBM), le pays dispose de 18 millions d’hectares de terres arables ; 60 000 ha représentent donc 0.33% des terres arables dans la Grande île. L’ancien Directeur de la Facilitation et de Réformes et ancien DG de l’EDBM, Eric Andriamihaja Robson, nous affirme que Daewoo avait effectué des études pédologiques couvrant 1,3 million ha, mais ils étaient uniquement intéressés par la location de 300 000 ha pour cultiver du maïs.  Si on confie donc à des investisseurs étrangers l’exploitation de 360 000 ha, soit 2% de nos terrains arables dans un cadre bien défini et règlementé, les « razana[1] » seraient-ils furieux de voir leurs descendants manger, travailler, aller à l’école, … ? L’exemple de Tozzi Green mérite d’être approfondi. Ces investisseurs italiens cultivent maïs, géranium, et épices sur 6.731 Ha de terrains à Ihorombe. Ceux qui ont déjà fait le voyage sur

65 ans après – L’architecture de la dépendance (Article)

Introduction – Une indépendance sans réconciliation Soixante-cinq ans après l’indépendance formelle proclamée le 26 juin 1960, Madagascar reste prisonnière d’une architecture de dépendance. Ce constat n’est ni un slogan militant ni un fatalisme désenchanté : il s’appuie sur une analyse systémique, rigoureuse, réalisée par le Think Tank Diapason. Il pose une question simple : qu’est-ce que l’indépendance quand l’État est dépossédé de sa capacité à protéger, à orienter, à distribuer la richesse ? L’approche proposée combine données factuelles, lectures historiques et analyse causale via la méthode ICECAP. Ce dossier, loin d’être un inventaire à charge, veut proposer une grille de lecture du blocage malgache, pour mieux le débloquer. Et s’il dérange, tant mieux : car l’indifférence est pire que la critique. À la veille du 26 juin 2025, une lucide remise en question devient un acte de patriotisme. I. Une fondation coloniale jamais déconstruite L’indépendance de 1960 n’est qu’une transition juridique. Le legs colonial reste l’armature de l’État malgache. Les institutions, le droit, l’organisation économique, jusqu’à l’imaginaire national sont restés alignés sur les structures de domination françaises. L’État malgache a été pensé comme un réplicateur, non comme un émancipateur. De Tsiranana à Ratsiraka, des illusions progressistes aux désillusions structurelles, chaque alternance a reconduit les mêmes logiques : pouvoir hypercentralisé, rente économique, clientélisme politique. L’histoire récente n’a pas corrigé cette trajectoire, mais l’a amplifiée. Le passage du marxisme à l’ajustement structurel, puis au capitalisme d’oligarchie, n’a fait que changer les formes d’une même domination. La Constitution malgache de la première République reproduit la logique de la Cinquième République française, à savoir un pouvoir exécutif fort, une faible autonomie des collectivités, une justice rattachée au pouvoir politique. Ce modèle, peu adapté à un jeune État en construction, a déséquilibré durablement les rapports entre les institutions. Dans les années 1970, le régime socialiste de Didier Ratsiraka tente une réorientation idéologique. Mais derrière les slogans révolutionnaires, l’État continue de fonctionner comme un outil d’accaparement : par la nomenklatura, les réseaux militaires, les hauts fonctionnaires formés à l’étranger. L’autorité centrale s’éloigne du terrain. La dépendance change de visage, mais pas de nature. Plus grave encore, l’indépendance n’a pas permis de produire un véritable imaginaire national. L’histoire coloniale est peu enseignée, les figures de résistance peu connues. Les symboles de l’État sont faibles, et les récits collectifs ont été détruits par la succession de crises politiques. Or un État sans mémoire ne peut bâtir une nation. Nom Début du mandat Fin du mandat Cause d’interruption Durée effectuée Durée restante Albert Zafy 27-03-1993 05-09-1996 Destitution 3 ans, 5 mois, 9 jours 1 an, 6 mois Marc Ravalomanana 06-05-2002 17-03-2009 Coup d’État 6 ans, 10 mois, 11 jours 1 an, 1 mois Hery Rajaonarimampianina 25-01-2014 07-09-2018 Démission (candidature) 4 ans, 7 mois, 13 jours 4 mois Andry Rajoelina 19-01-2019 10-09-2023 Fin anticipée (intérim) 4 ans, 7 mois, 22 jours 4 mois II. Un bilan objectif : croissance piégée, pauvreté enracinée 1. Chiffres-clés 2025 PIB par habitant : 450 USD (contre 850 USD en 1971) Dette publique : 60,8% du PIB[1] IDE[2] : < 2% du PIB, majoritairement minier[3] Taux d’accès à l’électricité : 27% (moins de 10% en zone rurale)[4] Population vivant sous le seuil de pauvreté : 75%[5] Part de l’économie informelle : 90%[6] Ces données mettent en évidence une stagnation déguisée. Le PIB progresse, mais la pauvreté s’aggrave. Les services publics se dégradent, l’éducation perd son pouvoir d’émancipation, la protection sociale s’effondre. La pauvreté monétaire est aggravée par une pauvreté en capacités. Les femmes rurales travaillent plus de 12 heures par jour sans accès à un revenu stable. Les enfants marchent des kilomètres pour aller à l’école sans cantine, sans livres. La faim n’est plus un accident, mais une habitude. 2. Concentration extrême de la richesse Le Top 15 des groupes économiques malgaches concentre la majorité des secteurs stratégiques. Certains acteurs bénéficient d’exonérations fiscales, de monopoles logistiques, de licences minières sans appel d’offres. Le lien entre pouvoir économique et pouvoir politique est direct. Les grandes familles finançant les campagnes électorales se retrouvent décideurs de politiques fiscales. Ce capitalisme de connivence empêche l’émergence de nouveaux acteurs et verrouille l’économie nationale. Pendant ce temps, les petites entreprises locales, les boulangers, les artisans, les coopératives, croulent sous les taxes, les formalités, et l’absence d’accès au crédit. Les banques préfèrent financer les importateurs ou les grands groupes.   Nom / Groupe Estimation (M USD) Secteurs  principaux Source (URL) Groupe Axian > 2 500 Télécoms, énergie, finance, immobilier https://lexpress.mg/26/04/2025/axian-annonce-2-milliards-de-chiffre-daffaires/ Groupe SODIAT > 1 000 BTP, hydrocarbures, immobilier, médias https://diapason.mg/profilage/mamy-ravatomanga Groupe FILATEX > 900 Immobilier, énergie, zones franches https://www.filatex.mg Groupe Galana > 800 Hydrocarbures, logistique https://madagascar-tribune.com/Galana-et-la-supply-chain.html Groupe SMTP / LPSA > 600 Matériaux, mines, import-export https://smtpgroup.com Groupe Vidzar > 500 Alcool, distribution, hôtellerie https://www.vidzar.mg Groupe Henri Fraise > 400 Engins, concession industrielle https://www.henrifraise.com Groupe CFAO Madagascar > 350 Automobile, équipements, pharma https://www.cfaogroup.com Groupe U (Super U) > 300 Distribution, grande consommation https://www.superu.mg Groupe STAR / Castor > 250 Boissons, agroalimentaire https://www.star.mg Groupe OTI > 200 Travaux publics, bâtiment, routes https://www.oti.mg Groupe Haycot > 180 Logistique, import, transports https://haycot.mg Groupe First Immo > 160 Immobilier de luxe, foncier urbain https://firstimmomada.com Groupe Trano Mora > 140 Matériaux, immobilier https://trano.mora.mg Groupe Mahazava > 120 Mines artisanales, métaux précieux mahazava-exploitation-informelle 3. Une société fragmentée L’analyse ICECAP révèle que la pauvreté n’est pas seulement matérielle. Elle est aussi symbolique. Le citoyen se sent déconnecté du projet national. L’école est perçue comme une voie sans débouché. La justice comme un instrument de punition pour les faibles, de protection pour les puissants. La fragmentation est territoriale (zones enclavées sans routes), culturelle (absence de langue commune dans les politiques publiques), générationnelle (les jeunes n’ont pas les mêmes références que leurs parents) et cognitive (les récits médiatiques sont déconnectés de la réalité). Sans socle commun, la république ne tient que par la peur ou l’habitude. Partie visible Partie invisible Source primaire Motivation humaine Sujet déclencheur Absentéisme scolaire Désinstitutionnalisation Méconnaissance / Ignorance Résignation Exclusion structurelle de la majorité Violences sociales Pauvreté éducative Méconnaissance / Ignorance Résignation Exclusion structurelle de la majorité Migrations internes

Le choc des maux et le poids du silence : une société fragmentée

« Il n’y a pas de phénomène de société, seulement une explication sociétale des phénomènes » Friedrich Nietzsche Introduction – La méthode ICECAP : voir sous la surface L’analyse suivante s’appuie sur la méthode ICECAP, une méthode d’analyse causale créée par les analystes du think tank Diapason, acronyme de Iceberg Causal Analysis Protocol, développée dans l’article « Iceberg inversé – ce que le monde voit, ce que le Malgache ignore » (Diapason, mai 2025). Cette méthode vise à identifier les symptômes visibles, à mettre à jour les causes invisibles, et à les classer selon cinq niveaux d’analyse : Partie visible : symptômes sociaux observables Partie invisible : causes profondes structurelles Source primaire : choix de la gouvernance, pression privée, internationale ou ignorance Motivation humaine : ce qui pousse à agir (peur, cupidité, conformisme, résignation…) Sujet déclencheur : le mécanisme économique ou structurel à l’origine du blocage   Les deux articles de Joan Razafimaharo (sur la peur de la rétaliation)[1] et du Dr Rigobert Rafiringason (sur l’éducation)[2] constituent un double révélateur d’une même structure d’enfermement à Madagascar. Analyse ICECAP – La peur de la rétaliation (Joan Razafimaharo)   Partie visible Partie invisible Source primaire Motivation humaine Sujet déclencheur (structurel / économique) Silence généralisé dans les sphères techniques, artistiques et administratives Système de répression implicite à travers l’autocensure et les représailles indirectes Choix de la gouvernance Contrôle Absence de mécanismes        de protection des voix dissidentes Autocensure dans les milieux professionnels Réseaux d’allégeance informels, intimidation sociale non formalisée Choix de la gouvernance Peur / Soumission Maintien de l’ordre hiérarchique par loyautés informelles Isolement après la prise          de parole critique Absence de statut protecteur en cas de dénonciation d’incompétence ou de corruption Choix de la gouvernance Contrôle Inexistence d’un État de droit effectif Rupture des alliances et soutien conditionnel                des proches Intérêt personnel supérieur à l’intérêt collectif dans les groupes « alliés » Pression des intérêts privés Opportunisme / Préservation Compromission pour sécuriser un avenir professionnel Mise à l’écart progressive après désaccord Disqualification sociale par la rumeur,    la diffamation, la peur d’être associé Choix de la gouvernance Contrôle / Intimidation Absence de sanction contre la violence symbolique Recentrage stratégique sous forme de « retrait volontaire » Tentative de préserver la santé mentale face à un climat délétère institutionnalisé Méconnaissance / Ignorance Résignation Normalisation de la souffrance psychologique    dans le travail Harcèlement insidieux                et discrédit moral Reproduction des logiques postcoloniales d’autorité verticale, même dans les cercles intellectuels ou militants Pression internationale (héritée) Conformisme culturel Héritage post-colonial non digéré dans les élites locales Discours sur l’éthique du silence, du retrait, du discernement Absence de cadre collectif de reconnaissance du Hasina (autorité morale légitime) Choix de la gouvernance Désenchantement Érosion de la sphère publique comme lieu de délibération libre Refus des élites à renoncer à leurs privilèges (appel à un « suicide de classe ») Fragmentation des élites, refus de solidarité concrète, peur de perdre les bénéfices du système Pression des intérêts privés Cupidité Appropriation privée des ressources symboliques et sociales Exemple concret : des journalistes, enseignants ou hauts fonctionnaires mis à l’écart après des critiques légitimes, sans protection ni cadre légal efficace. Nuage de mots ICECAP : La peur de la rétaliation Commentaires de synthèse La peur de la rétaliation est ici le symptôme d’un système autoritaire diffus, dans lequel la parole libre est désamorcée par la crainte sociale plus que par la violence directe. Les causes profondes relèvent d’un choix de gouvernance, mais aussi d’une pression des intérêts privés (préservation des positions, fuite du coût du courage). Le sujet déclencheur, souvent économique ou structurel, renvoie à l’absence d’un cadre protecteur, à la non-reconnaissance des résistances morales (Hasina) et à l’internalisation du post-colonialisme dans la reproduction sociale. La motivation humaine dominante est le contrôle, mais elle se décline en opportunisme, peur, résignation et conformisme, selon les acteurs en jeu. Analyse ICECAP – L’éducation à Madagascar (Dr Rigobert Rafiringason) Partie visible Partie invisible Source primaire Motivation humaine Sujet déclencheur (structurel / économique) Échec manifeste du système éducatif Absence d’une vision partagée du rôle de l’école Choix de la gouvernance Négligence Absence de politique éducative cohérente Disparition des valeurs comme la discipline, la justice, la responsabilité Déconnexion entre savoir, savoir-être              et faire-savoir Choix de la gouvernance Indifférence Absence d’investissement productif dans le savoir Démission des parents et dévalorisation de l’école Perte de sens collectif autour du bien commun Méconnaissance / Ignorance Résignation Non-intériorisation de l’intérêt général  dès l’enfance Incapacité des citoyens à coopérer efficacement Individualisme structurel hérité du système éducatif Pression des intérêts privés Compétition Système éducatif valorisant la réussite individuelle au détriment du collectif Dégradation des biens publics (vols, vandalisme) Échec de la formation civique et de l’amour du bien commun Choix de la gouvernance Cynisme / Opportunisme Appropriation privée des ressources communes Rejet de l’impôt et du système fiscal Absence de culture citoyenne fiscalement responsable Méconnaissance / Ignorance Méfiance Système fiscal injuste perçu comme                     une spoliation Tissu économique dominé par l’informel Échec de la formation à l’esprit d’entreprise et à l’éthique professionnelle Choix de la gouvernance Abandon Économie de survie structurelle              non accompagnée Violence, incivilités et agressivité      chez les jeunes Système éducatif déconnecté              des réalités sociales et émotionnelles Choix de la gouvernance Frustration Exclusion structurelle de la majorité du système économique formel Absence de culture de groupe, difficulté à fédérer Absence d’apprentissage de la coopération dès le jeune âge Choix de la gouvernance Individualisme cultivé Absence de travaux de groupe, pédagogie compétitive Scolarité sans finalité économique ni sociale Rupture entre éducation, emploi, développement national Pression des intérêts privés Désengagement élitaire Éducation réduite à une formalité,         non articulée aux besoins de la Nation Exemple concret : plus de 1,2 million d’enfants non scolarisés en 2023 ; 65 % des élèves de primaire n’ont jamais fait de travail en groupe. Nuage de mots ICECAP : L’éducation à Madagascar Synthèse L’article met en évidence

50 ans d’économie malgache dans son contexte régional

Entre stagnation, spoliation et espoirs de transformation Cinquante ans de croissance au ralenti : données clés Évolution du PIB réel et du PIB par habitant (1971-2023) Depuis son indépendance, Madagascar a connu une croissance économique erratique, fortement dépendante des chocs politiques internes, des crises climatiques et des cycles de rente. Les données du PIB par habitant, corrigées de l’inflation, montrent une réalité frappante : le pays a stagné pendant cinq décennies, avec même des périodes de régression. Les ruptures suivantes sont particulièrement notables : 1972-1975 : Révolution sociale sous Ramanantsoa, chute de la croissance. 1982-1985 : Crise de la dette et plans d’ajustement structurel imposés par le FMI. 1991 : Effondrement de l’administration Ratsiraka, transition chaotique. 2002 & 2009 : Crises post électorales majeures entraînant des blocages économiques. 2020 : Effets du Covid-19 sur les exportations et l’économie informelle. Pendant ce temps, la croissance démographique est restée constante, maintenant une pression structurelle sur le revenu par habitant. Résultat : la majorité de la population vit aujourd’hui avec un pouvoir d’achat inférieur à celui des années 1970. Graphique : Évolution comparée du PIB par habitant (1971–2023) Graphique de comparaison entre Madagascar, Rwanda, Sénégal, Maurice   Graphique : Croissance annuelle moyenne du PIB par période présidentielle Ce graphique confirme un fait central : la performance économique de Madagascar est profondément corrélée à son instabilité politique et institutionnelle. À cela s’ajoute une faiblesse structurelle de l’État à capter, redistribuer et transformer la richesse. Exportations : richesses invisibles, flux détournés Composition et dynamique des exportations Madagascar semble modeste sur les marchés mondiaux. Pourtant, la structure de ses exportations est plus riche qu’il n’y paraît : Secteur Produits dominants % estimée des exportations totales Mines Nickel, cobalt, graphite, ilménite 30-35 % Agriculture Vanille, girofle, litchis 20-25 % Textile Vêtements (zones franches) 20-25 % Services BPO Centres d’appel, digital 5-10 % Pêche, bois Crevettes, bois précieux <5 % Ces produits sont exportés sans transformation locale majeure, dans des circuits souvent exclus du système fiscal malgache[1]. L’économie invisible : les ressources non déclarées Comparaison avec la RDC Élément Madagascar RDC Ressources principales Nickel, cobalt, graphite, terres rares, or Cobalt, cuivre, or, coltan, diamants % de recettes minières perdues 50-80 % (estimations Diapason + ITIE) 60-85 % (Congo Research Group, Resource Matters) Acteurs dominants Ambatovy, Base Resources Glencore, China Moly, Gécamines La comparaison avec la RDC montre que Madagascar pourrait perdre chaque année 400 à 700 millions USD de recettes non déclarées. Si l’on applique une fiscalité de 15 à 20 %, cela représente 60 à 140 millions USD/an de recettes fiscales perdues. Cas Apple et offshorisation Un iPhone vendu à 1 000 USD ne laisse que 30-50 USD à la Chine qui l’assemble[2]. De la même façon, Madagascar exporte de la vanille, du textile ou du nickel sans capter la valeur finale. Produit Valeur à Madagascar Valeur finale mondiale % captée localement Vanille 100-200 USD/kg 2 000-4 000 USD/kg <10 % Nickel 15 000 USD/T 30-40 000 USD/T ≈3-5 % T-shirt 1,2 USD 12-20 EUR ≈1-2 % Application d’une fiscalité de 18 % (moyenne africaine 18%) Valeur exportée réelle Manque à gagner fiscal (18 %) 12 milliards USD 1,87 milliard USD 16 milliards USD 2,59 milliards USD Ce manque à gagner fiscal équivaut à 75 à 100 % du budget de l’État. Projection 2023–2033 Sur 11 ans, Madagascar pourrait perdre plus de 25 milliards USD si aucune réforme n’est engagée. Facteurs structurels de blocage Faiblesses institutionnelles et gouvernance extractive Le développement économique de Madagascar est largement entravé par la configuration et l’usage des institutions. L’exécutif concentre le pouvoir sur les organes clés : douanes, fisc, secteur minier, justice. Cette domination empêche toute autonomie des organes de contrôle et affaiblit les contre-pouvoirs. Le législatif, censé incarner la nation, reste aligné sur l’exécutif, tandis que la justice demeure dépendante des autorités politiques, ce qui entrave la lutte contre les abus liés aux ressources. Dans ce contexte, les institutions ne servent plus l’intérêt général : elles canalisent les flux vers des intérêts privés. L’administration devient un relais entre ces intérêts et l’État, renforçant l’opacité au lieu de garantir la transparence. Pouvoir Rôle constitutionnel État réel d’indépendance Exécutif Dirige la politique, applique les lois Concentration maximale Législatif Vote les lois, contrôle l’action du gouvernement Alignement quasi systématique Judiciaire Applique les lois, sanctionne les abus Dépendance administrative Ce tableau montre que les équilibres entre pouvoirs sont théoriques, mais que leur fonctionnement réel empêche toute correction des déséquilibres économiques ou toute régulation des flux de rente. Blocages géographiques, sociaux et culturels Plusieurs facteurs structurels non économiques freinent directement le développement de Madagascar. Ils relèvent de la géographie, du tissu social, des représentations culturelles et du rapport entre citoyens et institutions. Insularité et enclavement territorial Malgré sa taille, Madagascar reste peu connectée. Les ports sont sous-équipés, les routes dégradées, et les régions mal reliées, ce qui freine l’intégration nationale et augmente les coûts logistiques. À l’inverse, le Rwanda, pourtant enclavé, a investi dans des connexions régionales à fort impact. Fragmentation sociale et identitaire La diversité culturelle devient un frein en l’absence d’un projet national partagé. Cela renforce les clientélismes et la méfiance envers les institutions centrales. Le Sénégal, lui, a su construire un imaginaire collectif plus inclusif. Urbanisation peu productive Madagascar reste rurale et son urbanisation est peu structurée. Antananarivo souffre d’un sous-investissement chronique, là où Dakar ou Kigali sont devenues des pôles économiques dynamiques. Culture de la défiance envers l’État L’absence d’État-providence a installé une culture de débrouille. L’administration est vue comme un obstacle, pas comme un appui. Cela réduit la demande citoyenne de transparence et bloque la construction d’un État moderne. Retard numérique et énergétique Moins de 20 % de la population a accès à l’électricité, et moins de 10 % à Internet. Ce double retard empêche l’insertion dans l’économie moderne, là où d’autres pays africains en font des leviers majeurs. En résumé, Madagascar souffre : D’un isolement logistique et numérique, D’un enclavement intérieur, D’une fragmentation sociale persistante, Et d’une faible exigence de reddition des comptes. Cette combinaison maintient la majorité

65 ans d’indépendance à Madagascar : entre célébrations officielles et désillusion populaire

Diapason est un « think tank » qui veut poser des questions, nourrir le débat, valoriser les initiatives et favoriser l’innovation socio-économique et politique pour le développement de Madagascar. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du think tank.  Nos valeurs Boussole / Cap Indépendance politique Multiculturel Vision à long terme Trait d’union entre savoir et pouvoir Éducation Recul nécessaire Liberté d’action Disruptif Bonne lecture !   À l’occasion du 65e anniversaire de l’indépendance de Madagascar, le président de la République a promis une “célébration grandiose”. Il a précisé que les festivités, en tout cas les cérémonies officielles, auraient lieu dans un lieu différent des sites habituels. Il a notamment indiqué que les feux d’artifice seraient tirés depuis le parc du Lac Iarivo, un projet encore en chantier, dont il a promis l’achèvement d’une première phase avant le 26 juin. Les autorités malgaches déploient un grand décor : une marche dans le centre-ville, l’inauguration d’une stèle commémorative sur l’avenue de l’Indépendance, des défilés militaires, des concerts, des cérémonies officielles… Un agenda festif rythmé par des discours appelant à l’unité nationale et à la fierté retrouvée. Mais derrière ces images de célébration, un malaise profond persiste. Et une question revient dans toutes les conversations : Madagascar est-il réellement indépendant ? Une indépendance de façade ? Officiellement indépendante depuis 1960, la Grande Île semble encore, pour beaucoup de ses citoyens, vivre sous le poids de dépendances multiples : politiques, économiques, voire symboliques. Si la souveraineté nationale est inscrite dans la Constitution, son application réelle suscite des doutes, notamment dans un contexte où l’État de droit, la transparence et la redevabilité du pouvoir sont régulièrement remis en cause. Mais 65 ans plus tard, que reste-t-il de cette souveraineté ? Les décisions publiques semblent de plus en plus déconnectées de la volonté populaire. Le peuple malgache a-t-il vraiment son mot à dire sur l’avenir du pays ? Ou n’est-il qu’un simple spectateur d’un théâtre politique verrouillé par une élite au service de ses propres intérêts ? L’actuel président, régulièrement critiqué pour son exercice personnalisé du pouvoir, est également au cœur de controverses liées à sa double nationalité française. Une situation inédite et politiquement sensible dans un pays dont l’histoire coloniale demeure une blessure ouverte. Fête nationale, outil politique ? Dans un contexte de pauvreté généralisée – plus de 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour -, ces célébrations fastueuses suscitent l’incompréhension. Pour nombre d’observateurs, elles apparaissent comme un écran de fumée destiné à détourner l’attention de l’opinion publique. “On amuse le peuple pendant que les ressources sont dilapidées”, souffle un enseignant à Antananarivo, amer face à ce qu’il qualifie de mise en scène. Organiser des fêtes nationales grandioses est devenu un outil classique de diversion : panem et circenses – du pain et des jeux – pour détourner l’attention d’un peuple accablé par la misère. Les dépenses engagées pour ces festivités contrastent crûment avec l’état des infrastructures de base : hôpitaux sous-équipés, routes délabrées, établissements scolaires précaires. L’écart entre les moyens mobilisés pour la fête et les réalités quotidiennes alimente un sentiment d’injustice. Un anniversaire amer. Car célébrer l’indépendance dans un tel contexte relève de l’hypocrisie. L’indépendance n’est pas une date sur un calendrier, mais une réalité vécue. Et cette réalité, pour la majorité des Malgaches, reste marquée par la dépendance, l’exclusion et le mépris. Un pouvoir fortement centralisé. Le fonctionnement de l’État est également critiqué. L’accusation d’un style de gouvernance autoritaire, voire féodal, revient régulièrement. Le régime actuel évoque davantage une monarchie autoritaire qu’un État de droit. L’État, confondu avec la personne du chef, fonctionne au bon vouloir d’un seul homme. La loi, c’est lui. Les contre-pouvoirs sont réduits au silence, les institutions affaiblies, les journalistes menacés, et les opposants diabolisés. Les institutions, bien qu’existantes, peinent à jouer leur rôle. Dans de nombreux dossiers, la parole présidentielle fait office de loi, et les décisions majeures sont prises dans l’opacité. Les critiques ne viennent pas seulement de l’opposition. Des voix issues de la société civile, du milieu académique ou de l’administration alertent sur une dérive vers une centralisation excessive du pouvoir. Une majorité en attente de rupture. Dans ce climat, la majorité des Malgaches exprime de plus en plus ouvertement sa lassitude face à ce qu’elle perçoit comme une confiscation du rêve d’indépendance. Nombre d’entre eux, surtout les jeunes, ne se reconnaissent ni dans les discours officiels ni dans les pratiques politiques actuelles. Certes, les feux d’artifice illumineront le ciel du Lac Iarivo, mais une autre lumière doit naître : celle de la conscience collective, du refus de la manipulation, et de la réappropriation de la souveraineté populaire. Car une vraie indépendance ne se fête pas : elle se vit. Elle doit être concrétisée par des politiques publiques au service de la majorité – et non d’une minorité. Zaza Ramandimbiarison Analyse ICECAP (ndlr)   Télécharger l’article :  Ici 🗞

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