Un des instruments dans les démocraties modernes est le sondage d’opinion, qui permet d’avoir une idée plus ou moins claire de l’opinion publique à un moment donné. On voit par exemple en France comment les sondages sont utiles pour tâter le pouls de l’opinion, anticiper, mais aussi pour décider. On se souvient par exemple que le Président François Hollande avait décidé de ne pas se représenter à sa propre succession il y a sept ans, du fait de sondages qui prédisaient qu’il ne serait pas réélu.
L’organisation de sondage est une opération complexe qui nécessite de bâtir un échantillonnage statistique qui soit représentatif de la population, puis d’avoir les moyens d’interroger les personnes qui en font partie. Autrefois les enquêtes se faisaient par téléphone, aujourd’hui Internet et les téléphones mobiles sont privilégiés. Tout ceci requiert des ressources humaines, financières et techniques. À Madagascar, faute de moyens, le sondage d’opinion n’est pas une pratique courante.
Expériences limitées
En 2018, la Fondation Friedrich Ebert (FFE) en avait pourtant organisé un pour prédire le comportement des électeurs lors de la présidentielle à venir. Ayant eu vent des résultats catastrophiques pour le Président Hery Rajaonarimampianina, son équipe en avait fait interdire la diffusion et avait menacé la FFE de représailles. L’ONG allemande a pris peur, mais les résultats ont quand même circulé sous le manteau.
Le journal Madagascar-Tribune avait mis en place une structure baptisée “Imaso” qui avait organisé un sondage au sujet des résultats du second tour de la présidentielle de 1993. Les résultats avaient vu juste en prévoyant la victoire d’Albert Zafy face à Didier Ratsiraka, et l’écart entre résultats du sondage et les résultats officiels était peu significatif. Cette “réussite” tenait toutefois d’un peu de chances, car faute de moyens, le sondage n’avait été réalisé que sur les zones urbaines et rurales de l’axe Antananarivo- Toamasina. La chaîne de télévision TV-Plus réalisait également dans le temps des sondages sur divers sujets politiques, économiques ou sociaux, mais l’échantillonnage ne concernait que la ville d’Antananarivo et les résultats n’avaient pas de prétention nationale. En dehors des agences d’enquêtes de marché pour le secteur privé, la structure la plus sérieuse actuellement dans l’organisation de sondages d’opinion est Afrobaromètre. Malheureusement, le temps qui s’écoule entre la réalisation de l’enquête et la publication des résultats limite son utilité immédiate.
La solution pifométrique
Les politiciens et les analystes malgaches n’ont donc pour le moment que la pifométrie et les manifestations publiques visibles. Ces méthodes sont cependant peu fiables. On ne compte plus les candidats aux présidentielles, aux législatives ou aux municipales qui ont été subjugués par les stades qu’ils remplissaient lors des meetings électoraux, avant de s’apercevoir avec dépit du grand écart la sortie des urnes. Le remplissage de stades devient alors un argument de marchandage, de manipulation ou de polémique pour ceux qui pensent que ledit grand écart ne peut reposer que sur des fraudes. Argument bien peu rationnel, car la raison de la présence de personnes à des meetings électoraux peut résulter de nombreux facteurs, allant de la simple curiosité à l’attrait des goodies, mais qui ne peuvent pas automatiquement être liées à un soutien politique.
De toutes manières, même dans les pays développés qui pratiquent le sondage d’opinion depuis des décennies, et qui font le beurre de multiples instituts, les erreurs existent également. Aux États-Unis ou en France, des sondages favorables à Hillary Clinton, Alain Juppé, François Fillon, se sont retrouvés contredits par les faits. Toutefois, malgré ces échecs, les sondages ont souvent démontré leur perspicacité et sont des outils utiles à la démocratie. Ils permettent une cartographie des opinions sur les hommes et les sujets, qui sont autant de guides pour les gouvernants et les citoyens. Il serait donc souhaitable que Madagascar se dote d’un institut sérieux et indépendant du pouvoir, afin d’éviter que la statistique ne soit mise à contribution pour caresser les dirigeants dans le sens du poil.
Enfin, en-dehors de la vérité des urnes qui est un baromètre de la notoriété d’une personnalité, en dépit des remarques légitimes sur la fiabilité du système électoral, le sondage d’opinion permettrait de mesurer quelle est l’envergure politique réelle de quelqu’un. Cela permettrait de limiter l’audience accordée à des gens qui ne représentent pas grand-chose, mais qui, à force d’apparitions médiatiques, sont positionnés à tort comme des influenceurs ayant une assise solide aux yeux des citoyens.