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Madagascar : Histoire de la construction d’une nation

Abstract

Retracer les chemins de l’histoire malgache : beaucoup se sont évertués à le faire, dans des styles variés, avec des méthodes différentes. Aujourd’hui, le besoin se fait sentir d’une publication d’accès facile, qui intègre les résultats des recherches les plus récentes. Tel est l’objectif de ce livre. A leur arrivée, les premiers occupants de la Grande Ile peuplent les côtes, et certains gagnent progressivement l’intérieur des terres.
Suit une phase de constructions politiques, au terme de laquelle l’une d’entre elles, animée d’un rêve unificateur, se fait reconnaître comme Royaume de Madagascar. Son échec, suivi du moment de la colonisation, n’entrave pas la détermination de la population. L’indépendance ouvre enfin la voie à un processus difficile et de longue haleine : la quête de la démocratie et du développement. L’ouvrage décrit ainsi la marche d’un peuple vers son unité.
Cette histoire retrace le parcours de Madagascar, dans sa continuité et ses ruptures. Elle relativise l’idée convenue d’une origine des Malgaches, au profit d’une intégration progressive dans l’océan Indien et d’une ouverture croissante sur le monde.

 

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Article écrit

PAR JOHARY RAVALOSON

La situation de Madagascar au large de l’Afrique et sur la route des navigateurs austronésiens le prédétermine à connaître les influences africaines et austronésiennes. De nombreuses vagues migratoires de part et d’autre, qui s’ignorent sans doute au début quand la terre était grande, échangent, s’amalgament ou se repoussent les unes les autres. À la fin de la géographie, lorsqu’on atteint la digue des rizières ou la fin des pâturages qu’est la mer, à force de vivre-ensemble, et surtout face aux exactions coloniales, s’est reconnu un peuple malagasy, uni par une langue spécifique, aux variantes dialectales régionales intercompréhensibles, une culture mixte caractéristique, à la fois africaine et austronésienne. Malgré toutes ces possibilités offertes par la terre au milieu des flots, sans même évoquer les richesses en son sein, les Malgaches vivent dans l’insécurité, au seuil de la pauvreté et de la sous-nutrition – dans le sud on crève, en ce moment même, en silence, de famine –, et sous-éduqués dans une malgachisation introuvable facilitant la démagogie d’une élite politique égoïste et corrompue. Ce n’est pas l’État mal en point le problème. Il n’est que le reflet des liens existant entre Malgaches. Il manque la volonté pour devenir une nation.

         Présentée le samedi 19 décembre 2020 pour sa sortie officielle lors d’un café-histoire au Musée de la photo à Antananarivo, l’ouvrage retrace l’itinéraire « d’un peuple en marche vers son unité ». Soit quelque 4000 ans, depuis la première présence humaine décelable, plus ancienne qu’on ne le pensait, les contacts et les vagues de peuplement successives venant des rives proches ou lointaines de l’océan Indien, les différents regroupements jusqu’à la constitution des royaumes, du rêve de l’unification à sa concrétisation variable, en passant par les différents conflits de pouvoir, les luttes et les relations incessantes, les interférences étrangères jusqu’aux aliénations partielles, puis celle, totale, que représente la colonisation, et enfin, l’indépendance recouvrée dans une République qui peine à réaliser le vivre-ensemble harmonieux et prospère.

Évolutions et ruptures marquent cette « Histoire de Madagascar » qui veut continuer ou parachever la construction de cette nation en déconstruisant les stéréotypes ancrés dans les esprits et en intégrant les résultats des recherches les plus récentes.

Les faits étant complexes et pas toujours connaissables, les hypothèses pas toujours vérifiables, les élaborations inductives et déductives fonction de différentes écoles, lesquelles parfois tardent pour des raisons pas toujours scientifiques à formuler un consensus, l’ouvrage « coordonné » par Sylvain Urfer a le mérite de fournir un cadre de lecture et de recherche à ce parcours. Il se décompose en six séquences imbriquées que chacune des parties prenantes, des historiens de renom et de spécialités variées, synthétisent sans masquer les zones d’ombre.

Dans les deux premiers chapitres, Philippe Beaujard puis Gabriel Ratoandro, complémentaires, relatent Madagascar jusqu’au XVIe siècle, les peuplements successifs et leurs rapports formant dans le creuset insulaire le caractère à la fois africain et asiatique de la culture malgache.

Le premier nous fait bénéficier de ses recherches en anthropologie et en histoire globale de l’océan Indien, de « l’ancien monde » du commerce arabe, indien et chinois en Afrique et des premiers navigateurs de l’humanité que sont les Austronésiens, connaissant, de leurs archipels entre deux océans, aussi bien la route du Pérou que celle de Madagascar. Beaujard replace la Grande Île dans les réseaux d’échanges au pourtour des sphères d’influence austronésienne et swahilie.

Ratoandro, interprétant des faits de linguistique, d’archéologie, de paléontologie et même de paléopalynologie (l’étude des pollens fossiles qui permet de reconstituer l’évolution de la végétation liée aux climats et à l’activité humaine), dessine la protohistoire de Madagascar, des premiers hommes signalés aux premières constructions politiques.

Une présence humaine est reconnue sur l’île dès le deuxième millénaire avant notre ère. Des chasseurs-pêcheurs venus sans doute de la côte est-africaine. Ils n’ont « pas laissé de traces d’installations fixes » mais seulement les empreintes de leurs outils sur des subfossiles trouvées notamment à Anjohibe, dans le Nord-Ouest.

Le site archéologique le plus ancien connu est daté du Ve siècle de notre ère à Andavakoera, dans la baie d’Antsiranana. On ne peut pas le rattacher à une « culture spécifique », même si les textes anciens arabo-persans – lesquels englobent en parlant d’al-Qumr, la grande île et l’archipel comorien – et la présence de chloritoschiste laissent à penser que cette population qui rayonnait dans le nord de Madagascar avait des relations avec l’Afrique de l’Est et avec le golfe Persique. Sans doute elle « accueille des marchands d’outre-mer à la recherche d’écailles de tortue très demandées sur le marché chinois, ou encore du bois ».

Ce qui correspond peu ou prou à la tradition que m’a rapportée Cassim Ali, de l’Académie régionale d’Antsiranana, appelant la baie de Diego Suarez, Antomboka, la baie du Départ, car c’est dans la région qu’Austronésiens, Africains, Arabes et Perses avaient appris à vivre ensemble et fusionné leurs langues et cultures, avant de se disperser dans toutes les parties de l’île.

Il existait de même une population indéterminée de pêcheurs-cueilleurs dans le Sud, la datation du site de Sarodrano autour du VIe siècle reste cependant discutée.

Plus connue est la première vague de peuplement par des Austronésiens au VIIe siècle. « Parlant une langue du groupe linguistique Barito Sud-Est du sud-est du Kalimatan (Borneo) », ils apportent la base de la langue malgache, le riz (cultivé sur brûlis), le cocotier et la métallurgie, mais aussi les « concepts cruciaux pour la pensée religieuse malgache », comme les fady ou tabous. Ils fréquentaient sans doute les rivages malgaches avant de s’installer. D’autres vagues viendront plus tard.

 

Au IXe siècle viennent des Bantous de l’Afrique de l’Est.

D’une part, des éleveurs qui introduisent les zébus, par Nosy Be avant de pénétrer la Grande île, propageant l’essartage, mais cette fois-ci pour le pâturage. Ils apportent également des éléments très importants de ce qui va devenir la culture malgache : le culte des reliques royales et le phénomène de possession tromba.

D’autre part, des commerçants Swahilis, issus de la rencontre de populations bantoues avec des marchands musulmans, arabes et persans, tenant déjà sur les côtes africaines des comptoirs de commerce (Zanzibar, Kilwa, Pemba, Mafia, Pate). Ils font commerce aussi bien de poterie africaine qu’austronésienne, de céramique chinoise, de cornaline indienne, de fioles en verre égyptiennes et de jarres du golfe Persique que de fer, de carapaces de tortue, de cristal de roche et de chloritoschiste de la grande île, mais également de main d’œuvre servile. Aux confluents des échanges de l’océan Indien, ils développent en se mêlant à la population locale des lieux d’escales, des ports puis des cités-États, à l’image de Mahilaka (baie d’Ampasindava) au Nord-Ouest, et d’Irodo ou de Vohimaro, au Nord-Est.

Bien connue maintenant grâce aux recherches de Chantal Radimilahy (Mahilaka. An archaeological investigation of an early town in Northwestern Madagascar. Uppsala, Department of Archeology and Ancient History, 1998), Mahilaka, la première ville de Madagascar et également port, en plein développement au Xe siècle, abrite dans son enceinte fortifiée en pierre, mosquées (la première mosquée en pierre datant du XIVe siècle), maisons de patriciens, réservoirs d’eau et ateliers de forgerons, joailliers et potiers, répartis en quartiers spécialisés. Exportant aussi de l’or, du riz et des étoffes en raphia, Mahilaka préfigure les « gens de la mer » Antalaotra, « terme se référant d’abord à un mode de vie ». Ces villes antalaotra, tournées vers la mer, accueillent aussi bien des musulmans du Golfe persique et d’Asie occidentale, que des Bantous et des Austronésiens, formant des archipels cosmopolites et urbains à l’architecture de pierre. Le réseau organisait la pêche en haute mer et le commerce transocéanique entre les différentes cités-États portuaires, durant le second mouvement de swahilisation des côtes africaines, selon Fleisher et al.(« When did the Swahili become maritime ? », American Anthropologist, 117 (1), 2015).

Quand décline Mahilaka à la fin du XVe siècle, de nouveaux ports prennent le relais plus au sud sur la carte des échelles swahilies dans le canal du Mozambique : Langany (baie de Mahajamba) et Kingany (baie du Boina), plus proches de voies d’accès vers les Hautes Terres. En raison des nombreuses vagues migratoires qui s’amalgament ou se repoussent les unes les autres, la ligne de partage des sphères d’influence swahilie et austronésienne, observent Laurent Berger et Sophie Blanchy (« La fabrique des mondes insulaires »,études rurales, mai 2014), « se déplace des Comores vers Madagascar, progressivement polarisée entre ses façades occidentale et orientale ».

 

 

Entre-temps, en effet, du XIIIe jusqu’au XVe siècle, arrivent d’autres vagues austronésiennes, provenant de Java et de Sumatra avec de conceptions religieuses « influencées par l’islam », de conceptions politiques « fortement hiérarchisées » et la technique de riziculture irriguée. Elles feront une halte dans les échelles du Nord-Est, à Vohimaro et dans la baie d’Antongil, puis ceux de Java (Zavaka) s’installeront dans les Hauts-Plateaux et ceux de Sumatra (Zafiraminia, de l’arabo-persan Râmni, nord de Sumatra) migreront le long de la côte Est. Ces nouveaux arrivants parlent une langue proche des descendants métissés des anciens occupants – le vieux peuple sans rattachement connu, les Austronésiens du Kalimatan et les Bantous –, qu’ils vont appeler Vazimba et « dont ils parleront en termes si défavorables ». D’origine bantoue, le terme Vazimba se rapproche de vanjimbo qu’utilisaient les Swahilis sur la côte kenyane pour désigner des populations de l’intérieur vivant de façon fruste.

En partie refoulés par les nouveaux arrivants, sûrement chassés comme le prétendent les récits, les Vazimba sont largement assimilés dans le peuplement de l’île. Ils disent d’eux-mêmes, selon une tradition betsileo rapportée par Ranaivozanany (Ny elan’ny Nosy, boky 1, 1963) : «Fahi-bato izahay, ka efa eto izahay vao tonga ny omby», Nous sommes les pierres du parc. Nous étions déjà là avant les zébus.

« L’énigme des origines des Malgaches » diffusée par Deschamps, que l’on peut résumer par l’unité profonde du peuple malgache au double point de vue linguistique et culturel, et son caractère composite du point de vue racial, ne l’est que si l’on veut ignorer, d’une part, les prouesses maritimes et le taux de mélanine des peuples anciens (austronésiens aussi bien qu’est-africains), et d’autre part, la force du creuset qu’est un parc cerné par des pierres ou par la mer pour forger une communauté.

Dans une troisième partie, Manassé Esoavelomandroso retrace les différentes constructions politiques d’inégale importance et d’organisations diverses, de leurs liens conflictuels, de leur ouverture aux étrangers, du XVIe au XVIIIe siècle, suivant les traditions orales, écrites (sorabe et textes modernes) et les recherches archéologiques.

À l’origine, une lignée constituée par les descendants d’un même ancêtre vit sur un même territoire (tanindrazana). Lorsque la population augmente, des branches (cadettes) migrent plus loin. Se crée un clan qui peut s’allier à d’autres pour former une communauté plus grande, une confédération clanique (exemple : la confédération Betsimisaraka) ou un royaume par assujettissement de certains groupes ou clans par un autre plus fort, nouveaux venus, migrants ou conquérants (exemple : les royaumes sakalava et merina).

Le territoire, enjeu de pouvoir pour la riziculture ou l’élevage de zébu, le devient plus âprement, pour la sécurité des personnes. La survenue des premières caravelles portugaises, avec des canons et de nouveaux fusils, puis celle des autres occidentaux dans leurs sillages intensifient les luttes. Les petites sociétés communautaires ont plus de mal à garder leurs autonomies, souvent elles sont absorbées par de plus grandes entités politiques. Intégrés dans un circuit de traite, les différents fanjakana rivalisent dans un climat véritablement tendu et conflictuel et l’ensemble de la population vit sous les menaces d’une razzia et de la déportation.

Les royaumes s’étendent et parfois se scindent : ainsi le royaume sakalava développe sur la partie occidentale du pays une culture liée aux zébus élevés de façon extensive par razzias et essartage (le fondateur du royaume est le bien-nommé Andriamandazoala qui probablement défrichait et brûlait des forêts pour en faire des terres de pâture et de culture), absorbe les cités-États antalaotra pour contrôler le commerce sur la côte Ouest (avec l’aide de mercenaires, des traitants occidentaux souvent), s’étend puis se segmente : le Melaky se détache du Menabe, l’Ambongo et le Sambirano du Boeny, apparaissent de nouveaux royaumes comme le Bemihisatra ou l’Antankarana dans le Nord.

De même, l’Imerina s’unit pour la maîtrise de la culture irriguée du riz et pour assurer la sécurité contre les mpijirika (razzia), se développe, s’étend, expulse les Vazimba d’Analamanga mais finit par les assimiler, agglomère d’autres territoires (Andriamasinavalona avec l’efa-toko), puis se divise avant de se réunifier plus étendu (enin-toko) sous Andrianampoinimerina, lequel fit le grand rêve de « faire de la mer la limite de son royaume » : Ny ranomasina no valam-parihiko.

Helihanta Rajaonarison, dans une quatrième partie, traite de la constitution du Royaume de Madagascar et de la difficulté de construire un État.

Le modèle de construction politique demeure le même que pour des communautés plus réduites : constitution de surplus par environnement favorable (paix à l’intérieur du territoire, conquête des bonnes terres), par avancée technique (essartage, aménagement rizicole) mais surtout par la prédation : razzia et exploitation des groupes faibles ou vaincus, réduits en esclavage, commerce extérieur (traite des personnes captives, mais aussi de zébus et de riz) pour obtenir armes, munitions ; la reprise, orchestrée à l’échelle du groupe, des rituels communautaires (kabary, manasina, circoncision) ; aide étrangère ; guerre et diplomatie.

Des préoccupations d’intérêt général peuvent parfois apparaître dans cette construction : lutte contre la famine d’Andrianampoinimerina, pour l’éducation de Radama 1er, pour la culture de Ranavalona 1re, la reprise de l’unification par les Andafiavaratra, etc. Mais un royaume demeure le bien propre du souverain (et de son entourage), sinon l’objet de ses caprices, les services sont à charge de récompenses et la fonction publique, source de prébendes. Si la recherche de la sécurité favorise l’agrégation des communautés, elle n’est pas la seule motivation des acteurs. Souvent même, elle n’est que prétexte à davantage de prédation par les tenants du pouvoir, lesquels ne se vouent en fin de compte qu’à des intérêts particuliers. Ainsi, le rêve d’Andrianampoinimerina soutenu par des marchands en quête d’un plus grand champ d’action pour leurs affaires, rend les luttes plus âpres et donne lieu à des complots de palais et à des assassinats à chaque succession. Et les règnes successifs ne reflètent que le rapport des forces entre les clans en compétition.

 

Poursuivant l’œuvre unificatrice de son père, Radama 1er « avec l’aide des Anglais » mais aussi de Français, se lance dans une perpétuelle campagne dès son couronnement en 1810. Après la conquête violente du Betsileo, il cherche une ouverture sur la mer à l’est et conquiert Toamasina en se liant par fatidrà (alliance par le sang) avec le Mpanjakamena betsimisaraka Jean René qui le reconnaît comme suzerain. S’élançant dans le Sud-Est, il intègre le royaume antemoro, puis les royaumes antefasy et antesaka. Puis il se tourne vers l’ouest. Face à Ramitraho, roi sakalava du Menabe que son père n’a jamais réussi à vaincre, Radama 1er renonce aux armes et épouse la princesse Rasalimo, scellant ainsi l’union des deux royaumes. La conquête est plus sanglante dans le Nord et l’adhésion de la population plus aléatoire. Même si Mahajanga est conquise dès 1824, deux autres expéditions (en 1825 et en 1830) furent nécessaires pour démanteler le royaume Boina d’Andriantsoly.

 

Bien que reconnu « Roi de Madagascar » sur le plan international par le traité abolissant la traite des esclaves, le liant à la Grande-Bretagne, le 23 octobre 1817, ni Radama 1er ni ses successeurs dans le Rova d’Antananarivo n’arriveront à réunir sous leur souveraineté toute la Terre au milieu des flots « ny Tany anivon’ny riaka ». L’incorporation des autres communautés se faisant à la fois par la diplomatie et par la conquête armée, l’adhésion comme la soumission se manifestent par des liens interpersonnels féodaux qui se relâchent dès l’éloignement (faute d’intendance) ou à la mort d’un souverain. Depuis le règne de Ranavalona 1re, la turbulente indépendance des populations du Sud (Bara, Masikoro et Mahafaly) ne cesse d’inquiéter le gouvernement central. De surcroît, sans compter la réduction en esclavage des captifs de guerre et leurs déportations, le comportement colonial des gouverneurs merina détourne du Royaumede Madagascar des populations qui avaient reconnu l’autorité d’Antananarivo, pour se mettre sous la protection de la France. Ainsi en 1841, la reine sakalava Tsiomeko reconnaît le protectorat de la France sur Nosy Be, Nosy Komba et la baie d’Ampasindava. De même, le roi Tsimiharo de Nosy Mitsio, et le roi antankarana d’Ankify.

 

 

Pire, un Radama II, hypnotisé par la culture occidentale, avant même de monter sur le trône cède des privilèges exorbitants à la France par la Charte Lambert en 1857, « faire tout ce qu’elle jugera convenable » sur tout le territoire, qu’il confirme une fois roi en 1861, puis de même aux Anglais en 1862 par la Charte Caldwell. Ce qui lui vaudra « une fin brutale, annoncée par l’épidémie de ramanenjana, une manifestation de la colère de Ranavalona 1re ». Sa strangulation, – faire couler le sang royal est fady –, n’efface en rien hélas les concessions. Les efforts des successeurs pour compenser l’abrogation des traités ne cessent d’endetter le royaume et mènent peu à peu à une confrontation directe avec l’expansionnisme français, une fois que la politique d’équilibre entre les puissances initiée par Radama 1er et continuée par les Andafiavaratra, a vécu. L’entente européenne initiée à la conférence de Berlin (1884-85) où fut décidé le partage systématique de l’Afrique, et confirmée en ce qui concerne Madagascar et Zanzibar par la convention franco-britannique du 5 août 1890, scelle le sort de la Grande Île.

L’État malgache entre les mains d’une oligarchie divisée, corrompue et au fonctionnement prédateur, ainsi pas très populaire, ne peut s’opposer à la France qui, au bout de deux guerres en 1884-85 et en 1894-95, impose le protectorat le 1eroctobre 1895 puis, le 6 août 1896, la colonisation de « Madagascar et des îles qui en dépendent ».

Dans une cinquième partie, Faranirina Rajaonah traite du moment colonial. Domination française et sujétion malgache, modernisation du « Madagascar utile » et exploitation de la terre et des Malgaches, mépris du reste et répression de toute velléité de résistance, ces quelque soixante-quatre ans ont démontré ces mots de Galliéni : « Les colonies sont faites pour les colons », mais également ceux de Césaire dans le Discours sur le colonialisme (1950) : « La colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que l’action coloniale, l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. » Cruciale dans la construction de la Nation malgache, la colonisation, dès la conquête et tout du long, a vu fleurir des mouvements de résistance divers – Menalamba, Ambalavelona, Sadiavahy, VVS, Mouvement Mitady ny very, MDRM, 1947, etc. – et a fait émerger comme une évidence le sentiment d’appartenir à un même peuple pour tous les habitants de l’île. L’indépendance recouvrée, cependant, n’a pas vu pratiquer le fihavanana – lien entre tous les Malgaches sinon les humains – tant vanté, encore moins la démocratie, ni le développement.

Sylvain Urfer traite dans la sixième partie de « L’indépendance, au service de l’unité ». On a beau les chercher (l’indépendance, l’unité), on ne trouve que tâtonnements institutionnels, faillites politiques, insécurité, destructuration sociale, nature bradée et culture délaissée, résultant d’une décolonisation inachevée et de la persistance d’une pratique politique dévoyée menée par une classe politique « insensible aux attentes des citoyens » et qui « agit au profit de ses seuls intérêts », n’hésitant pas comme les souverains d’antan à aliéner une partie du territoire ou à asservir les siens, voire les vendre.

Cet ouvrage d’Histoire se singularise par un parti-pris qui figure dans le titre : la construction d’une nation. L’étymologie du terme « nation » tend à faire chercher dans un groupe plus ou moins vaste d’individus l’origine commune : natio, en latin, a pour origine nascere, « naître ». Firenena, dit-on en malgache, de reny, la mère. Les nationalistes qui n’aiment que ceux qui leur ressemblent recherchent à tout prix cette base. À défaut, ils veulent être les premiers, en tous cas, les plus forts, pour exclure ceux qui sont d’un autre ventre ou arrivés après. Souvent, ils sont les jouets de démagogues.

De toutes les nations contemporaines, aucune n’a cette origine commune (à moins de dire que tous les humains ne forment qu’une nation). Comme toute nation, la nation malgache est formée de peuplements composites et successifs, couche après couche avec son lot d’apports, s’intégrant, s’adaptant, adoptant les couleurs de la terre ou encore s’imposant.

À la fin de la géographie, lorsqu’on atteint la digue des rizières ou la fin des pâturages qu’est la mer, à force de vivre-ensemble, et surtout face aux exactions coloniales, s’est reconnu un peuple malagasy, uni par une langue spécifique, aux variantes dialectales régionales intercompréhensibles, une culture mixte caractéristique, à la fois africaine et austronésienne. Mais des ancêtres communs ne suffisent pas pour vivre ensemble.

Malgré toutes ces possibilités offertes par la terre au milieu des flots, sans même évoquer les richesses en son sein, les Malgaches vivent dans l’insécurité, au seuil de la pauvreté et de la sous-nutrition – dans le sud on crève, en ce moment même, en silence, de famine –, et sous-éduqués dans une malgachisation introuvable facilitant la démagogie d’une élite politique égoïste et corrompue. Ce n’est pas l’État mal au point le problème. Il n’est que le reflet des liens existant entre Malgaches. Il manque la volonté pour devenir une nation.

Car, en effet, voilà la fonction de la Nation : garantir la cohésion sociale. Le fihavanana, s’il ne dépasse pas le cadre d’une famille élargie ou d’un groupe, ne suffit plus. Ernest Renan appelle à « une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire » (Qu’est-ce qu’une Nation ?, 1882). Ainsi, pour construire une nation, selon les vœux des auteurs, « une communauté soucieuse de solidarité politique et justice sociale », sacrifier les intérêts particuliers à l’autel de l’intérêt général est nécessaire. Au vu de l’Histoire traitée dans cet ouvrage, à part dans certains moments éperdus de résistance et dans l’exaltation du discours, jamais personne ne semble à Madagascar songer à ce fihavanana exigeant.

 

URFER, Sylvain (coord.), Histoire de Madagascar. La construction d’une nation, Antananarivo, éditions Foi & Justice, Paris, Maisonneuve et Larose-Hémisphères, 2021, 283 p.

 

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Johary Ravaloson

Né en 1965 à Antananarivo, Johary Ravaloson étudie le droit à Paris et à La Réunion (Doctorat en 2002), pratique et enseigne à La Réunion et dans sa ville natale, puis après une incursion dans l’art contemporain, avec Sophie Bazin sous le pseudonyme Arius et Mary Batiskaf, se consacre à la littérature depuis 2016.

Il écrit des romans et des nouvelles.
Il adapte des contes traditionnels.
Il traduit.
Il crée avec son épouse Sophie Bazin les éditions Dodo vole en 2006 pour mettre en valeur les arts et les littératures du sud-ouest de l’océan Indien.
Il fonde en 2018, la revue Lettres de Lémurie qui publie annuellement vingt-quatre auteurs de cette région, en français ou dans leurs langues avec une traduction française.
Il anime ponctuellement des ateliers d’écriture et se confronte parfois à d’autres moyens d’expression comme l’art plastique ou la vidéo. Inscrit dans la société civile malgache à travers différentes associations, il revendique l’autonomie de son travail littéraire et se veut écrivain dégagé.

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