Date : 21/10/25
La mouvance se réinvente, le fond change – De l’émotion à la méthode.
Introduction
Le 17 octobre 2025 marque un tournant. Un colonel inconnu du grand public quelques semaines plus tôt prête serment à Antananarivo. La scène est solennelle. Elle fige une réalité ambivalente. Les formes de la démocratie restent visibles. La substance est disputée. Les institutions affichent la continuité. Les règles ont été bousculées. C’est dans cet espace d’ambiguïté que naissent les démocratures. Ces régimes qui conservent les habits de la démocratie tout en neutralisant ses contre-pouvoirs. À Madagascar, la question n’est plus théorique. Elle se pose maintenant, à chaud.
Recyclage en cours
Depuis le 17 octobre, la chronologie est limpide. La Haute Cour constitutionnelle accueille l’investiture du colonel Michaël Randrianirina, devenu chef de l’État après l’éviction du président Andry Rajoelina, sur fond de mobilisation juvénile et de défections dans les forces de sécurité. L’Union africaine suspend immédiatement Madagascar. L’Organisation des Nations unies condamne l’interruption anticonstitutionnelle de l’ordre démocratique et appelle à un retour rapide aux règles communes. Le 20 octobre, le nouveau chef de l’État nomme un Premier ministre civil, Herintsalama Rajaonarivelo. L’exécutif promet une transition assortie d’élections dans un horizon de 18 à 24 mois. Ces faits sont établis. Ils structurent la situation présente. (Reuters)
Cette séquence ouvre la page du gouvernement à construire. Un premier acquis est acté. La nomination d’un chef de gouvernement civil. Le signal est clair. Le pouvoir veut afficher une civilianisation de façade ou réelle. Le choix du Premier ministre est évidemment un choix stratégique ; on habille la fonction avec un homme issu du milieu des affaires et de l’entreprenariat notamment pour montrer que l’on est proche du peuple.
Tout se jouera désormais dans les arbitrages à venir :
– Répartition des portefeuilles régaliens.
– Règles écrites de la période de transition.
– Calendrier électoral publiquement opposable.
– Degré de neutralité des organisateurs du scrutin et des juges de l’élection.
– Nature de la relation avec l’Union africaine et les partenaires alors que la suspension demeure.
La composition du cabinet livrera un premier verdict. La présence ou non d’acteurs issus de la contestation sociale dira la volonté d’élargir la base de légitimité. Les premiers décrets fixeront la mesure de cette promesse. L’écart entre l’annonce et l’action sera scruté.
Le grand roque
Côté mouvement social, la Génération Z paie aujourd’hui un déficit de légitimité politique classique. Le mouvement a produit une vision. Il n’a pas converti cette vision en adhésion massive et formalisée. La feuille de route est arrivée avant la signature de la charte par le pays profond. Dans l’accélération des événements, la Gen Z a mis la charrue avant les bœufs en allant directement dans le côté opérationnel de leur vision (feuille de route) sans avoir validé l’acceptabilité de leur vision par la population.
Ladite Charte Gen Z Madagascar incarne les valeurs et la vision de la Gen Z et elle en constitue le langage commun. Elle relie entre citoyens, organisations et institutions en tant que contrat social civique qui engage chacun à des devoirs de transparence, de redevabilité et de service du bien commun. Elle réveille la mémoire des jours de révolte populaire, des visages perdus, des blessés, des familles marquées par la douleur, et rappelle le pourquoi de cette mobilisation. Ceux qui sont sortis dans la rue ne l’ont pas fait pour permettre un recyclage élitaire ni pour nourrir l’enrichissement d’une minorité qui préserverait un système corrompu. Rappelons que le mouvement de la Gen Z a ancré ses valeurs dans la douleur quotidienne et réelle de leur vie ; le droit d’accéder à l’eau, à l’électricité et à la dignité.
La Charte fixe un mandat clair :
– Empêcher ce recyclage,
– Protéger les libertés,
– Recentrer l’action publique sur la dignité, l’eau, l’électricité et les services essentiels, et mettre fin à l’impunité.
Elle est à la fois boussole et garde-fou pour que le sacrifice consenti ouvre enfin la voie d’un changement réel.
De l’émotion à la méthode
Le nouveau pouvoir a ensuite nommé un Premier ministre sans consultation visible de la force sociale qui a rendu cette transition possible. Le mouvement se retrouve donc sur la défensive. Le risque est celui :
– D’un recyclage,
– Les mêmes méthodes,
– Les mêmes réseaux,
– De nouveaux visages,
– Une rhétorique de refondation,
– Une pratique du contrôle
L’expérience régionale l’enseigne. Les transitions ouvertes par la rue se referment vite quand la méthode n’est pas verrouillée par des garanties simples et publiques.
Pour comprendre la dynamique, Diapason propose un cadre en neuf stades.
La situation malgache se situe au stade 4 : Le recyclage élitaire.
La traduction institutionnelle de la crise se fait d’en haut. Le calendrier est étiré. Les contre-pouvoirs ne sont pas encore garantis. Les promesses dominent les preuves. Tant que ces marqueurs persistent, la rupture reste un horizon et non un présent.
Que faudrait-il pour passer au stade 5 ?
La rupture réelle se mesure à des seuils simples et vérifiables. Un calendrier court et opposable. Un scrutin sous 30 à 60 jours, selon l’article 53 de la constitution, avec :
– Une instance de suivi indépendante et reconnue par la société civile.
– Un gouvernement de mission non candidat.
– Un mandat écrit.
– Des compétences limitées.
– Une publication des règles.
– Un garant neutre pour l’organisation du vote et le contentieux.
– Des mesures tangibles sur les priorités vitales qui ont déclenché la colère. L’eau et l’électricité.
– Un tableau de bord hebdomadaire public avec des résultats visibles.
– Un moratoire assorti d’un audit sur les contrats régaliens et les dépenses d’urgence.
– Une désescalade sécuritaire qui protège l’espace civique et permet aux observateurs de travailler.
Sans ces verrous procéduraux, la transition glisse vers un entre-deux confortable pour les élites. Le pays reste au stade 4.
Trois rappels s’imposent :
– Vision sans adhésion de la population (Charte Gen Z)
– Procédure méprisante du Président nouvellement investi
– Mauvais calcul politique de ceux qui ont été portés par la vague Gen Z
→ La vision doit précéder la procédure.
→ La procédure doit respecter les acteurs qui l’ont rendue nécessaire.
→ Le calcul politique qui sous-estime le socle social se paie toujours.
La nomination d’un Premier ministre sans rituel minimum de consultation publique a humilié la base. Elle a signalé une préférence pour le contrôle. Elle a rallumé les doutes.
C’est corrigeable. À condition de reconnaître l’erreur et de revenir au réel des priorités.
Que peut corriger la Génération Z maintenant ?
D’abord l’adhésion :
– Lancer une campagne de signatures publiques de la charte Gen Z Madagascar en ligne et sur le terrain.
– Installer des stands dans cent points du territoire.
– Afficher un compteur et une carte des signatures par district.
– Exiger un accord de méthode en deux pages signées par la présidence et le Premier ministre.
– Exiger un gouvernement de mission non candidat.
– Créer un comité eau et électricité avec indicateurs hebdomadaires codéfinis.
– Mettre une cellule de veille citoyenne reconnue par décret.
– Faire un calendrier électoral borné.
– Montrer la transparence des dépenses liées à l’urgence.
– Publier chaque semaine un tableau de bord citoyen sur l’eau et l’électricité.
– Communiquer simplement les engagements en lecture facile pour le citoyen.
– Créer un canal unique pour le public.
– Donner un rythme soutenu avec des preuves.
Plan d’action express 10 jours
Jours 1 à 3
- Lancement national des signatures Charte. Mise en place de 100 points physiques de collecte.
- Demande formelle et publique de rencontre avec le PM pour signer l’Accord de méthode.
- Publication des 10 engagements citoyens simples de la Charte en lecture facile.
Jours 4 à 7
- Première conférence de presse avec compteur de signatures et carte par district.
- Publication du tableau de bord Eau et électricité. Trois chiffres. Trois engagements.
- Installation de l’Observatoire citoyen de la transition. Rapports courts et datés.
Jours 8 à 10
- Forums populaires de validation de la Charte dans trois villes secondaires.
- Restitution publique. Soit signature de l’Accord. Soit plan d’escalade non violente graduée et ciblée.
Lignes rouges et escalade graduée
Les lignes rouges démocratiques sont franchies dès qu’il n’existe aucun acte écrit définissant le mandat et ses limites, qu’aucun calendrier électoral opposable n’est publié, que la décision publique et les financements demeurent opaques et que les libertés fondamentales sont entravées, qu’il s’agisse de la réunion pacifique, de la presse ou de la défense.
Face à une telle situation, l’escalade doit rester graduée et strictement non violente :
– Elle commence par la transparence et la traçabilité avec des demandes formelles, la publication des réponses, des tableaux de bord accessibles à tous, des pétitions signées avec vérification d’identité et un observatoire citoyen des faits.
– Elle se poursuit par une mobilisation civique encadrée avec des veillées citoyennes, des sit-in statiques déclarés, des chaînes humaines, des boycotts ciblés et des grèves de 24 heures annoncées à l’avance, tout en sollicitant des médiations d’autorités morales et professionnelles.
– Elle se conclut par les recours et la preuve publique avec des saisines juridictionnelles, des mémoires d’ami de la cour, un monitoring indépendant et un tribunal d’opinion documenté avec pièces, dates, budgets et engagements non tenus. Le tout s’opère sous garde-fous clairs avec non-violence stricte, respect du droit local, dispositifs de protection des participants et engagement écrit à cesser l’escalade dès que mandat écrit, calendrier opposable et transparence minimale sont effectivement publiés.
Indicateurs de succès
- 200 000 signatures en 10 jours.
- Accord de méthode signé ou refus public attribuable.
- Deux métriques Eau et électricité qui s’améliorent à la semaine.
- Trois OSC nationales et cinq réseaux locaux intégrés à la cellule de veille.
Verdict
La Gen Z peut encore changer le cours des choses. Elle doit passer de la logique « document » à la logique contrat signé. Placer la méthode avant les personnes. Offrir au pays des résultats mesurables sur l’eau et l’électricité. C’est la seule route courte et crédible pour sortir du stade 4. Revenir au réel et à la source de leur revendication.
Sommes-nous entrés dans la phase de création d’une démocrature ?
La définition est précise. Un régime hybride qui conserve des élections et le langage du pluralisme mais neutralise la substance par la captation des contre-pouvoirs, l’usage sélectif du droit et la répression dosée. La liste de contrôle renvoie aux faits :
– Accès au pouvoir contesté dans sa conformité aux standards.
– Suspension par l’Union africaine.
– Condamnation par l’ONU.
– Horizon électoral long.
– Rôle politique des forces de sécurité non clarifié.
– Neutralité des garants institutionnels à établir.
Nous n’y sommes pas encore. Les prémices, elles, sont réunies. L’investiture du 17 octobre s’est faite sous la pression des armes et de la rue. La nomination d’un Premier ministre civil le 20 octobre est un signal d’ouverture. Elle ne suffit pas. Elle doit s’accompagner de garanties opposables et publiques. Sans cela, la transition se figera dans une démocrature de circonstance. (Anadolu Ajansı)
Les critères d’une démocrature :
Critère |
Score (0–2) | Code couleur |
Remarque courte |
Accès au pouvoir conforme et accepté |
2 | 🔴 | Accès contesté et non conforme aux standards |
Calendrier électoral court et opposable |
2 | 🔴 |
Absence d’échéancier opposable et public |
Indépendance HCC, CENI, justice |
1-2 | 🟠/🔴 |
Indépendance incertaine selon les actes à venir |
Neutralité des forces de sécurité |
1-2 | 🟠/🔴 |
Rôle politique non clarifié et interventions possibles |
Ouverture de l’espace civique médias, OSC, manifestations |
1 | 🟠 |
Libertés formelles mais contraintes et pressions |
Transparence des financements politiques |
2 | 🔴 |
Opacité des flux et risques de « valises » |
Gouvernance eau et électricité avec comptes publics | 1 | 🟠 |
Engagements annoncés mais peu de données publiques |
Légende
0 = 🟢 sain
1 = 🟠 à surveiller
2 = 🔴 critique
Résultat
Tant que méthode et échéances ne sont pas verrouillées publiquement, la trajectoire correspond au stade 4 « recyclage élitaire » et glisse vers une démocrature de transition façade civile, pouvoir réel concentré.
La fenêtre de tir se rétrécit.
Trois tests peuvent l’élargir :
– Un décret de démarrage qui fixe un scrutin sous trente à soixante jours et institue une instance de suivi composée de juristes et d’organisations civiles, avec un mandat clair et un accès aux données.
– Un accord de méthode signé par le président, le Premier ministre et un collège d’organisations de la société civile. Il doit graver le caractère non candidat des membres du gouvernement de mission. Il doit prévoir la publication hebdomadaire d’indicateurs sur les services vitaux et la transparence des dépenses. Il doit définir des bornes au contentieux pour éviter l’enlisement judiciaire.
– Des résultats mesurables dans les premières semaines sur l’eau et l’électricité. Les ouvrages à redémarrer. Les heures de disponibilité par zone. Les pertes techniques à réduire. Les achats de fuel à clarifier. Ces résultats diront si la priorité du quotidien a repris ses droits sur la rhétorique de la refondation.
La transition se gagnera par la méthode. Si la méthode s’écrit, se signe et se surveille, le pays peut passer du recyclage élitaire à la rupture réelle. Si la méthode reste orale et floue, la logique des démocratures s’imposera, doucement mais sûrement. Les formes resteront. La puissance publique changera de mains sans changer de nature. La jeunesse aura fait tomber un président sans faire bouger le système. Elle se sera épuisée à déplacer la façade d’un édifice dont les fondations n’auront pas été touchées.
L’histoire immédiate n’est pas écrite. Les institutions peuvent encore dire le droit avec courage. Les forces armées peuvent s’astreindre à la neutralité et protéger les urnes, pas les trônes. Le nouveau Premier ministre peut accepter de limiter ses propres ambitions pour réussir sa mission. La société civile peut cesser de commenter et commencer à compter :
– Les signatures.
– Les heures d’eau.
– Les heures de lumière.
– Les factures payées par l’État.
– Les comptes publiés.
Il n’y a pas de magie dans la démocratie. Il y a des règles et des preuves. Madagascar a besoin des deux. Maintenant.
Rédaction – Diapason
Sources et traçabilité
Investiture et contexte immédiat de la prise de pouvoir. Reuters, 17 octobre 2025. (Reuters)
Recoupements presse de référence et organisations internationales
Suspension par l’Union africaine. Anadolu Agency, 16 octobre 2025. Recoupé par The Guardian, 15 octobre 2025. (Anadolu Ajansı)
Condamnation par l’ONU et appel au retour à l’ordre constitutionnel. UN News, 2025. Associated Press, mi-octobre 2025. JURIST, 2025. (dppa.un.org)
Nomination d’un Premier ministre civil Herintsalama Rajaonarivelo. Reuters, 20 octobre 2025. Xinhua, 21 octobre 2025. Anadolu Agency, 21 octobre 2025. Al Jazeera, 20 octobre 2025. (Reuters)
Cohérence interne Diapason et cadre d’analyse
Grille des neuf stades du Crescendo Diapason. Positionnement au stade quatre. Critères de passage au stade cinq. Corpus interne Diapason validé dans nos travaux d’octobre 2025.