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Date : 10/10/25

L’HISTOIRE SE RÉPÈTE

Bis repetita ?

« Le pouvoir appartient au peuple. C’est le peuple qui donne le pouvoir, et c’est le peuple qui reprend aussi le pouvoir. »
Déclaration d’Andry Rajoelina, Antananarivo, 2009
(extrait vidéo : facebook.com/reel/2065068920966844)

Seize ans plus tard, les mêmes mots résonnent dans les rues d’Antananarivo, mais cette fois, ils lui sont adressés. Le cycle s’inverse : la jeunesse reprend le langage du pouvoir pour réclamer la promesse trahie. Ce miroir historique signe la fin d’une époque, celle des révolutions capturées par ceux qui les ont initiées. Cet article veut mettre en exergue les conditions de réussite dudit mouvement.

Introduction

La dissolution du gouvernement Ntsay et la nomination d’un général à la primature marquent une inflexion historique. Depuis la fin de septembre 2025, la colère de la jeunesse malgache s’est muée en exigence existentielle : vivre dignement, décider de son avenir, rompre avec un système clos.
En tentant de contenir la tempête par un limogeage rapide, Andry Rajoelina a cherché à maîtriser la rue sans comprendre qu’il venait d’en changer la nature.
Car dans cette séquence, le pouvoir se bat contre une génération qui ne demande plus des explications, mais une transformation.

Le recyclage élitaire : prolonger sans transformer

L’éviction du cabinet Ntsay fut présentée comme un tournant. En réalité, elle s’apparente à une opération de recyclage interne.

Les promesses de dialogue national ont aussitôt été rejetées par la rue, qui y voit une tentative d’étouffement. Le récit officiel, celui d’une « jeunesse manipulée » et de « casseurs », trahit une incapacité à reconnaître la légitimité sociale du mouvement.

Le pouvoir gagne du temps, mais perd de la profondeur. Il multiplie les annonces sans horizon, reproduisant le schéma déjà observé après 2009 : dissoudre, promettre, reconstituer, recommencer. Le recyclage devient la marque de fabrique d’un système à bout de souffle. Le faible soutien visible au niveau des masses lors de la mobilisation pro-pouvoir (contre-manifestation ratée) indique que le régime ne peut plus légitimer facilement une réponse par la rue. (Le Monde.fr)

Mais ce recyclage est à risque : s’il échoue à neutraliser la contestation, il galvanise la rue.

Les fissures invisibles du régime

En limogeant son gouvernement, le président a ouvert une boîte de Pandore. Derrière l’apparente cohésion, les rancunes s’accumulent. Les ministres déchus détiennent des secrets, des réseaux, des contrats. Certains, écartés du pouvoir, pourraient désormais devenir des adversaires.
Ce glissement interne constitue la menace la plus sérieuse : non pas une opposition structurée, mais un désalignement progressif des élites. Les réseaux économiques hésitent, les diplomaties étrangères se repositionnent, l’appareil sécuritaire observe.
La cohésion de façade dissimule une peur sourde : celle du lendemain sans immunité. Car perdre le pouvoir, pour le président, c’est aussi perdre la protection juridique qui l’entoure. Les enquêtes dormantes sur les biens mal acquis, les marchés publics opaques et les violences d’État pourraient ressurgir dès la chute de la garde institutionnelle.

Le triangle de la vulnérabilité : rancune, peur, armée

Trois forces désormais structurent la séquence :

Le Crescendo malgache : du stade 4 à la bifurcation (Stade 5)

Rappel de ce qui se passe dans le monde

 

Selon la grille Crescendo élaborée par Diapason, Madagascar est aujourd’hui au stade 4, celui du recyclage élitaire. Les étapes précédentes – étincelle vitale, rue en ébullition, répression – sont franchies.

Chaque soulèvement suit la même courbe :

Tableau – Étapes d’un mouvement générationnel (Crescendo)

Le défi consiste désormais à franchir le stade 5, la rupture politique. Cette transition exige un changement de logique :

  1. Clarifier la légitimité du mouvement : une charte Génération Z Madagascar doit définir les valeurs, les lignes rouges et la stratégie de non-violence.
  2. Structurer la représentation : des porte-paroles élus, un conseil civique provisoire, une coordination nationale et régionale.
  3. Transformer la colère en processus politique : consultation publique, calendrier électoral clair, supervision indépendante.
  4. Créer des garanties de rupture : transparence patrimoniale, financement politique vérifiable.
  5. Mobiliser la diaspora et les PME : un pacte jeunesse-économie pour restaurer la confiance.
  6. Sécuriser l’information : baromètre citoyen, vérification des faits, open data.
  7. Préparer la relève : écoles civiques, leadership public, transition générationnelle.

L’enjeu n’est pas la vitesse, mais la structure : transformer un cri en architecture. Car c’est souvent là que les révolutions s’éteignent, dans l’absence de forme.

Scénarios immédiats

Trois trajectoires se dessinent à court terme :

Scénario Ce qui se passe Risques / Opportunités

Durcissement contrôlé avec stabilisation partielle

Le gouvernement impose un contrôle strict avec couvre-feux, arrestations ciblées. Le PM général joue la carotte avec des annonces minimales. L’opposition se fragmente. Le pouvoir peut tenir localement, mais l’usure s’accélère – coût humain, réputation, fracture sociale accrue. Si l’appareil sécuritaire
se fissure, bascule possible.
Dialogue imposé et concession minimale Sous pression nationale et internationale, le régime accepte
un dialogue mais le contrôle du format lui reste. Il fait quelques concessions (ministère de transition, réinitialisation d’agences publiques), sans s’engager sur sa démission.
Cela peut stabiliser temporairement, mais sans apaisement réel, le mouvement
ne désarme pas. Le « dialogue fait complice » est risqué.
Bifurcation Le mouvement impose ses conditions : le régime ne peut plus légitimement s’appuyer sur le seul pouvoir coercitif. Des médiateurs internationaux sont introduits, des étapes contraignantes sont adoptées.

Résultat incertain mais potentiel de nouveau pacte institutionnel (transition ouverte). Le défi est élevé : le régime n’a jamais cédé sur l’essentiel sans rupture.

À chaque scénario correspond un prix : le sang, le temps ou la réforme.

La bifurcation reste possible et même crédible

Le mouvement Gen Z a en quelques jours dépassé le cadre d’une protestation sectorielle (eau/électricité) pour réclamer un changement politique plus profond. Cela crée une tension structurelle entre la légitimité d’un pouvoir imposé et le cri de fond social.

Conditions pour une refondation civique crédible :

Le coût du changement

Un paradoxe universel : les sociétés en crise oscillent entre le désir de changement et la peur du chaos. Mais dans le cas de Madagascar, cette tension prend une forme particulière : le pays est à la fois épuisé et dépendant de sa propre stabilité précaire.

1. La logique du « moindre mal »

Pour beaucoup de Malgaches, le quotidien est déjà un combat : se nourrir, travailler, trouver de l’eau ou de l’électricité. Dans ces conditions, la stabilité, même corrompue, même injuste, devient une valeur refuge. L’idée du « moindre mal » domine : mieux vaut un système dysfonctionnel connu qu’un effondrement total dont personne ne garantit la sortie.

Cette attitude n’est pas de la résignation, c’est une stratégie de survie rationnelle dans un environnement où le risque politique est immédiatement économique. Les familles craignent les pénuries, les coupures de routes, les fermetures d’entreprises, les répressions. Le souvenir de 2009 est encore vif : la crise politique avait fait plonger les revenus, l’emploi et les aides internationales.

2. Le coût psychologique du changement

Changer un régime autoritaire ne consiste pas seulement à remplacer des dirigeants ; c’est aussi changer des habitudes mentales : clientélisme, hiérarchie, peur du vide. Le changement demande une énergie collective que la pauvreté structurelle a érodée. C’est pourquoi les appels à la « rupture » trouvent un écho moral mais peinent à se traduire en mobilisation totale. Les gens veulent du changement, mais sans risque personnel, sans rupture violente, sans perte de repères.

3. Le dilemme politique : réforme ou rupture

Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la recherche d’un compromis historique entre deux instincts :

Le défi pour la Génération Z, et pour tout projet de rupture politique, est donc de rassurer : montrer que le changement peut être ordonné, structuré, non violent, et qu’il produit des résultats tangibles pour le quotidien (prix, services, sécurité). Autrement dit, la révolution n’aura de sens que si elle réduit l’incertitude au lieu de l’accroître.

4. Le rôle des médiateurs et des institutions

Le danger, dans une société polarisée, c’est la fracture entre les « révoltés » et les « prudents ». Pour l’éviter, il faut des acteurs de médiation capables d’articuler ces deux besoins : Églises, associations professionnelles, diaspora, corps intermédiaires. Ce sont eux qui peuvent garantir la continuité des services, la non-violence et la transparence du processus.

5. En résumé

Le désir de stabilité n’est pas une trahison du changement ; c’est la condition de sa réussite.
Mais s’il devient un prétexte à l’immobilisme, il finit par nourrir la spirale même qu’il voulait éviter. L’équilibre à atteindre est celui d’une rupture sécurisée : changer sans tout casser, transformer sans effondrer, bâtir une nouvelle stabilité à partir du réel vécu.

Conclusion : entre effondrement et refondation

Le système Rajoelina, bâti sur la loyauté transactionnelle, arrive à la limite de sa plasticité.
La jeunesse bouscule l’ordre établi mais doit prouver qu’elle peut durer, structurer et gouverner.
Le vrai enjeu n’est pas de renverser un homme, mais de refonder la relation entre pouvoir et société.

Madagascar se trouve face à un choix de civilisation :

Le pays n’est plus seulement en crise politique ; il vit une épreuve de maturité. Entre la peur du chaos et le besoin d’avenir, la bifurcation ne se fera pas dans la rue, mais dans la capacité collective à concevoir un autre ordre.

 

Sources / Traçabilité

Reuters (8 oct. 2025) ; Le Monde (5 oct. 2025) ; AP News ; The Guardian ; Wikipedia (Zafisambo, protests 2025) ; analyses Diapason – Crescendo 2025.

 

Rédaction – Diapason

[1] https://m.youtube.com/watch?si=Ea34bpmxn4kiLT2A&t=644&v=o9NoS8MptU4&feature=youtu.be

 

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