La crise actuelle du secteur de la vanille et ses conséquences sur Madagascar
Madagascar est le premier exportateur mondial de vanille préparée, avec 70-80 % de part de marché[1], correspondant respectivement à 2 000 tonnes en 2020-2022, près de 2 500 tonnes en 2023 et 4 400 tonnes en 2024[2]. Ses principaux concurrents sont l’Indonésie, l’Ouganda et la Papouasie-Nouvelle-Guinée[3].
Les derniers prix du marché mondial reflètent la suroffre malgache, qui a entraîné un surstockage chez les exportateurs et importateurs : alors qu’ils avaient atteint 600 $/kg vers 2018[4], ils avaient été bloqués par le gouvernement malgache entre 350-250 $/kg de 2020 à mi-2023[5], puis ont été brusquement libéralisés pour tomber jusqu’à 15 $/kg. Aujourd’hui, ils se situent dans la fourchette 40-60 $/kg[6].
Le secteur de la vanille compte près de 100 000 fermiers, majoritairement dans la région SAVA, dont près de 80 % sont des petits planteurs. Les autres sont des producteurs intégrés à des structures gérant toute la chaîne de valeur (production, transformation, exportation). Pour 1 kg de vanille préparée, il faut 5-6 kg de vanille verte, dont le prix minimum était fixé à 75 000 MGA/kg jusqu’en 2023[7]. Sous pression, les transactions se sont faites à un prix plancher pouvant descendre jusqu’à 5 000 MGA/kg[8]. Aujourd’hui, les échanges, pour de la vanille verte de bonne et d’excellente qualité, sont autour de 35.000-40.000 MGA/kg.
La production de vanille verte est longue et coûteuse, impliquant une pollinisation manuelle, une cueillette et un séchage minutieux avant transformation. Les gousses de vanille subissent ensuite plusieurs étapes : échaudage, étuvage, séchage et affinage. Lorsqu’elle est conservée dans de bonnes conditions, la vanille préparée peut être stockée pendant 3-4 ans.
Si cette crise ne concernait pas un pays de 30 millions d’habitants, dont 80 % vivent sous le seuil de pauvreté, avec une gouvernance en déficit de ressources financières et un manque de vision stratégique pour son développement économique et social, ce ne serait qu’une crise de plus dans le secteur des matières premières agricoles.
En 2025, les prévisions d’exportation ne dépassent guère 1 000 tonnes. Or, sur des recettes extérieures annuelles de l’ordre de 3,5 milliards de dollars, la vanille représentait entre 20-25 % en 2021-2023[9]. La baisse des volumes et des prix aura donc des conséquences financières majeures pour Madagascar. En outre, bien que le sujet soit peu relayé par les médias nationaux, les petits planteurs sont en plein désarroi, faute d’une stratégie de sortie de crise.
Les mesures annoncées pour gérer la crise
Les solutions proposées sont classiques et imprécises, témoignant d’une méconnaissance des rapports de force et de l’évolution rapide du commerce international. De plus, elles mentionnent peu d’appuis concrets pour les petits planteurs, actuellement en grande difficulté.
La réduction du nombre d’exportateurs agréés pourrait être une bonne mesure si elle permet de limiter la captation de valeur par les intermédiaires. Toutefois, le risque est de créer un monopole d’exportateurs sans argument de compétitivité, uniquement focalisés sur la maximisation des volumes. Il conviendra d’examiner la transparence de l’attribution des licences d’exportation. En cas d’opacité, la perte de confiance des investisseurs et importateurs internationaux sera irréversible, laissant le champ libre à des concurrents comme l’Indonésie et l’Ouganda. Rétablir des prix planchers à l’exportation sans dispositif organisé serait une erreur. Contrairement au cacao ou au café, la vanille n’est pas cotée en bourse mais négociée en contrats directs (« one-to-one »). Madagascar pourrait imposer ses conditions selon les cycles, mais ce sont généralement les importateurs qui fixent les prix.
La durabilité est devenue un critère essentiel pour les acheteurs. L’organisation Sustainable Vanilla Initiative (SVI) regroupe les 45 acteurs majeurs du secteur. Pour eux, l’approvisionnement durable implique :
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- La traçabilité des produits,
- Le soutien effectif aux producteurs,
- Le respect de l’environnement,
- La prévention des risques climatiques,
- Une gouvernance transparente,
- Des standards d’hygiène et de qualité rigoureux.
Seuls quelques exportateurs malgaches avaient réussi à se conformer à ces critères. Cependant, signe encourageant, une vingtaine d’exportateurs malgaches ont rejoint la SVI en 2024.
Que faut-il savoir du marché de la vanille naturelle ?
Trois grandes catégories de vanille existent :
- « Gourmet» : haut de gamme, destinée aux boutiques spécialisées.
- « Extraction» ou « splits » : qualité intermédiaire pour les industriels et les consommateurs.
- « Cuts» : destinée aux usages industriels (poudres, huiles essentielles, cosmétiques).
Du côté des producteurs, la grande majorité, qualifiée de « petits », a longtemps travaillé de manière indépendante, vendant leur vanille verte à des intermédiaires dont beaucoup se contentaient de la revendre à de petits exportateurs souvent peu scrupuleux sur la qualité. Cependant, certains de ces paysans ont adhéré à des organisations structurées, comme l’entreprise Sahanala, qui leur offre des avantages sociaux (infrastructures d’éducation et de santé, fourniture de produits alimentaires à bas prix ou gratuitement) en échange du respect des normes de qualité bio imposées par des importateurs garantissant l’achat de toute leur production. Malgré la crise, certaines de ces structures restent actives et seront appelées à se développer davantage avec l’adhésion croissante des exportateurs aux normes SVI.
Vanille naturelle ou synthétique ?
La vanilline, principal composé aromatique de la vanille, est largement utilisée dans l’industrie agroalimentaire. Cependant, en raison de la rareté et du coût élevé de la vanille naturelle, la majorité de la vanilline utilisée est synthétique. Cette vanilline synthétique est produite à partir de substances telles que le gaïacol ou la lignine, et son coût est significativement inférieur à celui de la vanille naturelle. Par exemple, la vanille naturelle extraite des gousses séchées de l’orchidée du genre Vanilla est coûteuse, étant ultimement vendue aux consommateurs à plusieurs milliers de dollars le kilogramme, tandis que la vanilline synthétique coûte généralement entre 10 et 20 dollars le kilogramme[10].
Cette différence de coût rend la vanilline synthétique particulièrement attractive pour les industries alimentaires, notamment dans des produits comme les glaces à la vanille, où l’utilisation de vanille naturelle serait prohibitive en termes de coût.
Quel impact sur Madagascar ?
Madagascar, en tant que principal producteur de vanille naturelle, est directement affecté par la concurrence de la vanilline synthétique. La disponibilité d’une alternative synthétique moins coûteuse réduit la demande pour la vanille naturelle, exerçant une pression à la baisse sur les prix et affectant les revenus des producteurs malgaches.
Production et utilisation de la vanilline synthétique :
- Volume de production : En 2014, la production mondiale de vanilline synthétique était estimée à environ 20 000 tonnes par an, tandis que celle de vanilline naturelle extraite des gousses de vanille atteignait environ 40 tonnes par an[11].
- Part de marché : La vanilline synthétique représente plus de 90 % du marché mondial de la vanilline[12], en raison de sa disponibilité constante et de son coût inférieur.
Comparaison des coûts :
- Prix de la vanille naturelle : En 2017, le prix des gousses de vanille naturelle atteignait environ 500 € par kilogramme.
- Prix de la vanilline synthétique : En 2014, le coût de la vanilline synthétique était d’environ 15 € par kilogramme.
Cette différence de prix significative (facteur de plus de 30) rend la vanilline synthétique beaucoup plus accessible pour les industries, expliquant sa prédominance sur le marché.
Les défis pour la vanille naturelle
La vanille naturelle doit faire face à une concurrence intense de la vanilline synthétique en raison de son coût élevé et de sa production limitée. Pour se démarquer, les producteurs de vanille naturelle peuvent mettre en avant des aspects tels que la qualité supérieure, le caractère biologique, la durabilité de la production et les appellations d’origine contrôlée. Ces éléments peuvent séduire les consommateurs prêts à payer un premium pour des produits naturels et éthiques.
En conclusion, bien que la vanilline synthétique domine le marché en termes de volume et de coût, la vanille naturelle conserve une niche précieuse, notamment auprès des consommateurs recherchant des produits authentiques et de haute qualité.
La vanille et la vanilline dans un contexte géopolitique tendu
Le gouvernement de Trump aux USA, annonce une augmentation de 47 % des taxes d’importation américaines sur la vanille malgache qui aurait des répercussions significatives sur l’économie de Madagascar. En 2021, les États-Unis ont importé environ 1 000 tonnes de vanille malgache[13], représentant près de 70 % des exportations totales du pays et générant plus de 600 millions de dollars de revenus pour Madagascar[14]. Une telle hausse tarifaire pourrait entraîner une baisse des exportations vers les États-Unis, une réduction des revenus en devises et une pression à la baisse sur les prix payés aux producteurs locaux, affectant directement les 200 000 à 300 000 personnes vivant de cette filière[15].
Pour atténuer les défis, Madagascar doit adapter sa stratégie pour préserver et valoriser sa vanille naturelle, tout en répondant aux enjeux liés à la concurrence de la vanilline synthétique.
Cette stratégie repose sur trois axes complémentaires :
1. Renforcer la filière vanille sur le plan national
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- Restructuration et structuration des producteurs :
- Redéfinir la vision nationale en intégrant à la fois l’exportation et la production vivrière, en valorisant les zones de production (notamment la SAVA et l’est du pays) et en encourageant la diversification des activités des planteurs (riziculture, légumes, fruits, écotourisme, pêche, etc.).
- Imposer aux producteurs de s’intégrer dans des structures organisées, soumises à des normes techniques, commerciales et sociales, afin de garantir qualité, traçabilité et transparence.
- Chaînes de valeur et transformation locale :
- Mettre en place des systèmes de traçabilité (par exemple, via la blockchain) et adopter des normes de qualité propres à Madagascar, validées par les importateurs internationaux (en collaboration avec la Sustainable Vanilla Initiative).
- Soutenir la création de laboratoires privés indépendants pour certifier la qualité et encourager la transformation locale (production d’extraits, poudres, arômes, huiles essentielles) afin d’ajouter de la valeur et de diversifier les revenus.
- Gouvernance et commercialisation :
- Instaurer un audit annuel indépendant, lutter contre la corruption et surveiller les conditions de travail pour renforcer la gouvernance du secteur.
- Réduire le nombre d’exportateurs par la mise en place de critères transparents et instaurer un fonds de stabilisation permettant de laisser les forces du marché fixer le prix.
- Créer une bourse de la vanille et, si nécessaire, des entrepôts de rétention des stocks pour mieux gérer la volatilité du marché.
- Restructuration et structuration des producteurs :
2. Diversifier et conquérir de nouveaux marchés internationaux
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- Diversification des débouchés :
- Identifier et développer de nouveaux marchés (Europe, Asie, Moyen-Orient) afin de réduire la dépendance vis-à-vis du marché américain, particulièrement sensible aux hausses tarifaires.
- Amélioration de la qualité et certification :
- Investir dans l’amélioration de la qualité de la vanille naturelle et obtenir pour toutes les exportations des certifications internationales (commerce équitable, biologique) pour accéder à des segments premium, moins sensibles aux variations de prix et aux contraintes tarifaires.
- Éducation et marketing :
- Sensibiliser les consommateurs aux différences entre la vanille naturelle et la vanilline synthétique en mettant en avant l’authenticité, la complexité aromatique et la durabilité de la production malgache.
- Promouvoir mondialement l’image de Madagascar en tant que fournisseur de vanille haut de gamme, en démarchant activement de nouveaux marchés (ex. : Dubaï, Singapour, Chine, Maroc, Côte d’Ivoire).
- Diversification des débouchés :
3. Stimuler l’innovation et la recherche pour valoriser la vanille naturelle
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- Investissement en recherche et développement :
- Encourager l’innovation dans les techniques de culture, de récolte et de transformation pour augmenter les rendements et réduire les coûts de production, permettant ainsi de mieux concurrencer la vanilline synthétique.
- Développement de produits à valeur ajoutée :
- Développer une gamme de produits dérivés de la vanille naturelle, tels que des extraits et huiles essentielles, afin de diversifier l’offre et de créer de nouvelles sources de revenus, moins sensibles aux fluctuations des prix de la vanille brute.
- Investissement en recherche et développement :
Conclusions
Selon Einstein : « A new type of thinking is essential if mankind is to survive and move toward higher levels[16]. » Les problèmes liés à la gestion du secteur de la vanille sont complexes et ne peuvent être résolus sans un changement de perspective.
Tout d’abord, il faudra les replacer dans le contexte des choix de politique de développement d’un pays qui doit progressivement trouver un équilibre entre le maintien d’une économie de rente fondée sur les exportations et l’impératif d’autosuffisance alimentaire grâce aux cultures vivrières. Ensuite, aucune solution viable ne pourra être envisagée tant que les petits planteurs resteront exposés à la précarité et qu’aucune alternative durable ne leur sera proposée.
L’objectif devra être de positionner la vanille malgache à la hauteur de sa réputation de produit haut de gamme, afin de maintenir sa place de leader mondial. Cela passera par un respect strict des normes de qualité et de durabilité, ainsi que par une combinaison entre libéralisation et régulation intelligente, reposant sur une concurrence saine et une gouvernance irréprochable.
En combinant ces mesures, Madagascar pourra non seulement atténuer l’impact d’une hausse des taxes douanières sur les exportations américaines malgré l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), mais également renforcer la compétitivité et la valorisation de sa vanille naturelle face à la domination de la vanilline synthétique sur le marché mondial. Cela renforce l’urgence de rééquilibrer la politique agricole du pays en trouvant un juste milieu entre exportations, production vivrière et développement de l’agro-industrie locale, tout en diversifiant les marchés internationaux.
Rédaction – Diapason
[1] https://www.policycenter.ma/sites/default/files/2022-01/PB_45-21_Je%CC%81gourel.pdf
[2] https://www.africa-press.net/madagascar/economie/vanille-4-400-tonnes-exportees-pour-la-campagne-2023-2024
[3] https://www.kiriasse.fr/focus-sur-les-6-principaux-concurrents-de-madagascar-dans-la-filiere-vanille
[4] https://agronomag.com/vanilla-price-hits-all-time-record-in-2018/
[5] https://www.vanille-de-madagascar.com/prix-dimportation-et-dexportation-de-la-vanille-de-madagascar/
[6] https://www.habarizacomores.com/2024/03/le-prix-de-la-vanille-de-madagascar.html
[7] https://2424.mg/news/agriculture-le-ministere-de-lindustrie-du-commerce-et-de-lartisanat-propose-un-prix-de-reference-de-75-000-ariary-pour-la-vanille-verte/
[8] Sources Sahanala : certains planteurs affiliés ont été contactés par des intermédiaires qui proposaient ce prix pour écouler leurs stocks
[9] https://trendeconomy.com/data/h2/Madagascar/0905
[10] https://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/Vanille%20et%20biologie%20synth%C3%A9tique%20-%20%C3%A9tude%20de%20cas%20-%20FR.pdf
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Vanilline
[12] https://pmarketresearch.com/fr/rapports/rapport-detude-de-marche-mondial-et-francais-sur-la-vanilline-naturelle-et-synthetique/
[13] https://oec.world/en/profile/bilateral-product/vanilla/reporter/mdg
[14] https://wits.worldbank.org/
[15] https://www.gazety.mg/
[16] « Un nouveau type de pensée est essentiel si l’humanité veut survivre et progresser vers des niveaux supérieurs. »