La récente affaire de la Gazette de la Grande île, avec l’incarcération de son célèbre PDG, Lola Rasoamaharo nous donne l’occasion de porter un regard sur le rôle et la place de la Presse à Madagascar.

Quitte à « enfoncer des portes ouvertes », rappelons et illustrons les quelques maux dont souffrent aujourd’hui la Presse malgache.

 

Presse et justice

De manière factuelle, dans le journalisme d’investigation, plus aucun quotidien de la place n’ose de nos jours sortir le moindre « grand reportage » ou autre « grande enquête » qui malmènerait certains intérêts, aussi bien publics que privés.

Depuis quelques décennies maintenant, la plupart des plaintes se terminent très souvent au pénal, avec une incarcération toujours possible à l’arrivée, malgré la mise en vigueur d’un Code de la communication. De facto, il est devenu difficile d’exercer sereinement le métier de journaliste dans de telles conditions, et ce, même si vous êtes titulaires d’une carte de presse.Rappelons notamment le cas récent d’une affaire impliquant un ancien Ministre de la Justice. Bien que détenant des preuves irréfutables, en l’occurrence des enregistrements, aucun journal malgache n’a porté sur la place publique l’affaire. Il aura fallu un emballement né de la publication d’une « dissidente » sur les réseaux sociaux pour entraîner jusqu’à sa démission.

 

Presse et pouvoir

Rappelons également le phénomène de concentration des organes de Presse généralement détenus par des hommes ou des groupes politiques, sinon de puissants opérateurs privés ; ceci incluant la Presse écrite, comme les chaînes de télévisions. Cette « Berlusconi-sation » de la Presse en fait d’une part essentiellement une presse d’opinion, et d’autre part, ne favorise guère la diversité et la pluralité.

Pour en revenir à la Gazette DGI, ce journal a longtemps fait figure de référence, en étant justement l’un des seuls, sinon le seul, à s’être lancé sur ce créneau du journalisme d’investigation. Une réputation qui s’est solidement bâtie au fil des années, inspirant la crainte chez tous ceux qui avaient la malchance d’être épinglés par le quotidien.
Ces dernières années, nous avons assisté à un glissement progressif des repères éthiques et déontologiques, dû au contexte socio-économico-politique de Madagascar. Même si les raisons invoquées relèvent d’un délit de droit commun et non d’un délit lié à la presse, est-ce que l’interpellation et l’incarcération du PDG de ce journal, n’était-il finalement, qu’une question de temps ?

 

Savoir-faire

Un autre constat à Madagascar, et de nombreux lecteurs l’auront sans doute remarqué, concerne la disparité du « savoir-faire journalistique », au sens de l’écriture, de la syntaxe et du « standard » auquel on serait en droit de s’attendre d’un journaliste sortant d’une école digne de ce nom. Certains articles sont de vrais monuments d’incompréhension et des fautes grossières de formulation, voire de cohérence, et sont difficilement concevables pour des « plumes » titulaires d’une carte de presse. Même le B-A-BA d’une formation journalistique semble parfois être ignoré, des articles sont rédigés comme si l’on parlait…

 

L’ère du numérique

A l’ère de la transformation numérique et de la sur-information en temps réel sur les réseaux sociaux, la Presse professionnelle, à Madagascar comme partout, est tourmentée par la multiplication des relais pris par les lanceurs d’alertes et médias non officiels. Elle doit retrouver un espace et une marge d’expression suffisante pour exercer son métier. La bataille risque d’être rude, mais n’est certainement pas perdue pour le vrai journalisme professionnel, sérieux pourvu de déontologie et d’éthique. Une place devrait demeurer face à ces millions d’anonymes qui « se lâchent » avec leur flot de rumeurs, fake news, haines en ligne…

« Ainsi va le Monde » aime à dire le journaliste Vincent Hervouët. Les dysfonctionnements déjà levés dans le passé, par exemple un rapport édité par la Fondation Friedrich-Ebert Stiftung*, persistent et de nouveaux défis émergent.

 

Momentum ?

Ne serions-nous pas aujourd’hui en présence d’un Momentum pour que l’Ordre des Journalistes de Madagascar ne se saisisse de l’occasion pour continuer une profonde réflexion sur leur métier ? Quid de l’indépendance de la Presse ? Quid de sa pluralité ? Quid de la qualité et de la probité des journalistes ? Quid de son futur dans un paysage qui se transforme à mille à l’heure ?

 

*Impacts de la structure de la propriété des médias sur la couverture médiatique, la représentation politique et le travail du journaliste – Lovamalala Randriatavy et Iloniaina Alain – Friedrich-Ebert Stitung Octobre 2016

Pièce jointe en PDF :  Médias Madagascar

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